Le Dernier mois retrace le lent parcours que firent Léon Blum et sa femme, entre le 3 avril 1945, où ils sont extraits du camp de Buchenwald, et le 4 mai, où ils arrivent enfin à la frontière nord de l’Italie, libérée par les armées alliées. « J’ai tenu un journal des événements qui ont marqué pour nous cette période critique. Je les ai là, sous mes yeux. Ces notes ont été griffonnées un peu partout, au crayon le plus souvent, pendant les haltes des voitures, ou sur le lit de camp des étapes. Presque chaque ligne en a été tracée avec le sentiment qu’elle serait la dernière. Je puis bien dire, sans forcer le ton, que, pendant ce voyage d’un mois, l’idée de la mort a été notre compagne de tous les instants. » A partir de ces notes écrites au jour le jour, Léon Blum défile l’étrange cours de ce voyage sans espoir d’arrivée. Si l’on y retrouve sans surprise le mélange de froideur et de grandeur dont l’homme faisait preuve jusque dans sa manière de gouverner, on y découvre également une très belle vision des événements, entre compassion et résistance. Vision qu’il est néanmoins nécessaire de cerner historiquement pour bien la comprendre. Le Dernier mois fut édité en 1955, à un moment où n’existent pas encore de témoignages de déportés sur les camps d’extermination nazis -soit que les déportés ne parviennent pas à témoigner, soit que leurs interlocuteurs (parmi lesquels grand nombre de journaux et d’éditeurs) ne veulent pas les entendre (toute cette souffrance sonnait mal en ces années de reprise économique et de républicanisme triomphant). Les temps, on le sait, ont changé. Auschwitz peut désormais être « expliqué à ma fille » dans le cadre de très médiatiques collections ; la mémoire, jadis laissée à la porte, peut désormais être tranquillement étouffée sous les amalgames et les relativismes.

Léon Blum parle donc d’une manière qui pourrait aujourd’hui choquer du traitement, pourtant extrêmement privilégié, dont il fut l’objet pendant sa captivité et son voyage. Son récit n’en reste pas moins exemplaire et précieux, tant il se métamorphose rapidement en récit symbolique du retour à la vie et aux hommes. Plus que fin d’exil, parcours géographique, il marque les retrouvailles d’un être privé de liberté et déjà prêt à mourir avec sa mémoire, son pays et ses frères.

Ne reste finalement, avouons-le, qu’un terrible regret à la lecture de ce témoignage : que Blum n’ait pas vécu cela avant d’être l’homme politique qu’il fut, celui qui dirigea le Front populaire dans les années 1936-1938, l’un des principaux responsables de la politique française de non-intervention dans la guerre civile espagnole -avec le résultat que l’on sait. L’expérience de la souffrance viendrait-elle parfois trop tard pour rendre profitable aux autres hommes l’humanité qu’elle procure à celui qui la subit ?