Le premier roman de Taiye Selasi est aussi virtuose qu’agaçant, à la fois original et prévisible, enlevé et redondant, percutant et convenu. Taiye Selasi a été lancé outre-Atlantique comme star montante, incarnation du renouveau et de l’élan africain. Le titre original, Ghana must go, permet, mieux que sa traduction française, d’appréhender les paradoxes et les enjeux du texte. Il y a de la revendication chez Selasi, en même temps qu’une volonté de ne pas être cataloguée. Et celle qui se veut « afropolitaine », diplômée de Yale et d’Oxford, chaperonnée par Toni Morrison, réussit plutôt bien son coup d’essai, avec un sujet universel et classique : une histoire de famille, une histoire de fratrie.

Chez les Sai, les relations sont difficiles. Kweku, le père, est parti un soir en laissant tout derrière lui, sur un coup de tête, une crise de panique. Parce que ce chirurgien renommé avait été abusivement licencié et ne pouvait supporter l’idée de rentrer, ne pouvait imaginer que sa femme le pardonne, il a disparu quelques semaines Mais, à son retour, il a trouvé porte close : maison vendue, famille envolée. Il faut dire que Fola, la mère, est une femme à poigne, prête à tout recommencer si nécessaire. Pas le genre à s’éterniser. Disparue sans un mot avec ses quatre enfants. Olu, l’aîné, qui devient un médecin brillant, marchant sur les traces de son père. Les jumeaux, Taiwo et Kehinde, solaires, surdoués, fragiles. Bebe Sadie, la petite dernière, boulimique, mal dans sa peau, perdue – mais étudiante à Yale, tout de même.

C’est la mort subite de Kweku, pieds nus aux portes de son jardin, dans sa maison du Ghana, qui réunit la famille autour de Fola, elle aussi repartie pour l’Afrique. Les retrouvailles cristallisent les tensions, les non-dits, les heurts, les absences, les manques, les attentes des uns et des autres. On pleure, beaucoup. Les portraits sont minutieux, fouillés – en même que curieusement incomplets : Fola, capable de surmonter un abandon totalement inattendu, expédie ses jumeaux adolescents en Afrique chez un demi-frère trafiquant d’armes et proxénète qu’elle connaît à peine, par crainte de ne pouvoir parfaitement subvenir à leur éducation…Ce contexte fait que le « traumatisme des jumeaux », amené, annoncé page après page, tombe à plat quand il est dévoilé.

La richesse du roman, au-delà des portraits, de la construction chorale, vient d’une vraie lenteur, d’un aspect contemplatif, des descriptions. Le jardin à Accra. La plage et le village de naissance de Kweku. Certaines rigueurs architecturales. Pas besoin de plus. Entre Afrique, côte Est, une ombre d’Angleterre, le roman combine humeurs, atmosphères, couleurs. Le ravissement des innocents sonne juste, comme un appel pour une génération dont les parents ont quitté l’Afrique pour des raisons diverses, y sont parfois retournés, et dont les enfants se construisent, se réinventent, plus brillants, plus cosmopolites, plus ouverts, sans autres attaches que celles qu’ils ont choisies.