Une femme disparaît. L’intrigue du second roman de l’Américaine Laura Kasischke, dont on avait déjà pu lire A Suspicious river, pourrait se résumer à ça : tout l’intérêt, toute la force sombre de ce texte habile et troublant est à chercher dans l’introspection et le surgissement des vérités enfouies chez son personnage central -Katrina, sa fille unique. Nous resterons enfermés durant plus de trois cents pages dans ces banlieues monotones où réside la middle-class américaine et où l’hypernormalité ambiante cache les drames malsains dont John Cheever, jadis, tirait la pulpe de ses nouvelles et où David Lynch, parfois, a promené sa caméra. Laura Kasischke déploie peu à peu une trame narrative réduite à sa plus simple expression dans une atmosphère froide et austère, distribuant les cartes d’un jeu qu’il appartient à la narratrice de reconstituer : on suit avec étonnement cette enquête intérieure plus que matérielle d’une fille pour retrouver sa mère et le fil d’Ariane métaphorique qu’a déroulé l’auteur sur son chemin et qui fait le charme de son écriture dépouillée et sobre. Le symbolisme récurrent dont sont parcourues ces pages, avec le thème permanent de la blancheur et de la pureté que l’on retrouve jusque dans le titre, ne doit pas décourager la lecture de ce texte adroitement mené où tout se trouve en sous-main, enfoui, recouvert. Les seuls souvenirs de Katrina, ses cauchemars obsédants, ses révélations progressives sur les rapports tendus qui l’unissaient à la mère disparue ne sauraient suffire à donner tous les indices nécessaires pour arriver au terme de cette saisissante dissertation sur le thème de la disparition : c’est aussi dans les incessantes comparaisons et métaphores, dans le jeu du langage et des signes qu’il faut puiser.

Voilà toute l’originalité de ce roman adroit et fascinant, qui touche aussi par la force et la violence de son atmosphère ; en transformant ces suburbs aseptisés en enfer par anticipation, elle ajoute à la quête intérieure de la narratrice, déjà éprouvante, une dimension oppressante qui contribue pour beaucoup à l’angoisse réelle qu’elle procure. Sans opter pour l’aspect fantastique dont ceux qui l’ont précédée dans les ténèbres secrètes des banlieues résidentielles ont parfois teinté leurs œuvres, elle s’en tient à un réalisme efficace et glacial qui hante longtemps après la dernière page. Construit comme un puzzle intérieur, ce second roman confirme la puissance de l’écriture métaphorique de Laura Kasischke : autour d’une relation violemment possessive et haineuse entre une mère disparue et sa fille, c’est tout un monde malsain, mesquin et profondément noir qu’elle nous fait voir.