Après Le réel n’a pas eu lieu, paru au printemps, La passion de la méchanceté est le deuxième tome d’une nouvelle série entamée par Michel Onfray chez Autrement, modestement intitulée « Contre-histoire de la littérature » – le pendant littéraire, en quelque sorte, de sa célèbre « Contre-histoire de la philosophie », issu comme elle de cours à l’Université populaire de Caen. Le réel n’a pas eu lieu s’intéressait à Don Quichotte, La passion de la méchanceté s’attaque à Sade. Ceux qui ont écouté le cours correspondant savent déjà tout le mal qu’en pense Onfray, qui a déjà consacré quelques pages à l’auteur de Justine dans un ouvrage collectif dirigé par lui en 2012, Le Canari du nazi. La thèse ? Claire et brutale : Sade fut un monstre, un violeur pédophile, une brute dominatrice et ultraviolente, un débris féodal antiféministe et antirépublicain ; son infamie transparaît dans tous ses textes ; son dossier pénal est accablant ; sa célébration continue par toutes sortes d’hagiographes depuis 120 ans est incompréhensible. Le principal responsable de l’aberration qui consiste à présenter ce fou criminel sous des allures respectables serait Guillaume Apollinaire, qui n’y connaissait rien mais qui a composé en 1909 une anthologie malhonnête contenant toutes les contre-vérités répétées depuis par des dizaines d’imbéciles, de Gilbert Lely à Jean-Jacques Pauvert ou Roland Barthes. Sade fut sadique, Sade n’a jamais été révolutionnaire, Sade ne fut pas un homme des Lumières mais une momie d’un autre temps, il fut l’ennemi des femmes, il n’a certainement pas ouvert la voie à Freud, il n’avait rien de moderne, bref : tout ce qu’on a raconté sur ce monstre est un tissu d’âneries. Vous allez dire qu’on résume hâtivement, et qu’on force le trait. Pas du tout : les choses sont dites à peu près telles quelles dans le livre.

Avouons-le : il y a parfois quelque chose de marrant à voir Onfray défourailler contre les laudateurs de Sade, notamment la tribu structuraliste (Barthes, donc, mais aussi Lacan et Foucault), dont certains développements, avec le respect qui leur est dû, ont mal franchi l’épreuve du temps. Le chapitre sur Bataille, aussi, est drôle dans sa virulence. Hélas, cette drôlerie est la seule qualité de ce pamphlet bâclé, rempli des travers habituels de l’auteur : généralisations, outrance, mauvaise foi, insinuations, approximation, anachronismes, manichéisme, style nul (« Une toile de Van Loo semble avoir existé, mais elle semble perdue »), tics d’écriture horripilants (des torrents de points d’exclamation et de points de suspension). La faiblesse de certains arguments laisse songeur. Sade, dit Onfray, n’a évidemment pas été un opposant à la peine de mort (cf. le fameux chapitre « Français, encore un effort » dans La Philosophie dans le boudoir), puisqu’il s’est réjoui de la mort de Louis XVI. CQFD. Lumineux, non ? De même, il n’a pas pu être républicain, contrairement à la légende, puisqu’il dit dans une lettre « adorer le roi ». CQFD, again. Le fait qu’il dise dans la même lettre vouloir « deux chambres comme en Angleterre, ce qui donne au roi une autorité mitigée », n’arrête pas Onfray qui ne veut voir qu’un « Sade féodal ». Sans doute les tenants de la monarchie constitutionnelle ont-ils tous été des féodaux cachés. Aux pro-Sade qui distinguent l’homme et l’œuvre, et qui affirment que la pensée de Sade n’est pas dans la bouche de tel ou tel personnage, Onfray répond crânement : « Alors : où ? » Tout est à l’avenant. Les universitaires, comme souvent chez lui, s’en prennent plein la gueule. Il arrive, c’est vrai, que ce qui sort de l’Université ne soit pas terrible. Mais les universitaires ont au moins un mérite : quand ils citent, ils n’oublient pas, contrairement à Onfray, d’indiquer l’édition utilisée, afin que le lecteur s’y retrouve. De même, la plupart ne font pas de faute d’orthographe, et n’écrivent par exemple pas « histrionner » avec un y (page 148). Aussi, quand ils évoquent des « faits avérés », comme Onfray à propos des ossements trouvés dans le jardin de Sade ou du témoignage de Rose Keller, ils citent leurs sources. Onfray, non. Peut-être qu’il a lui-même déterré les os ?

« La passion de la méchanceté. Sur un prétendu divin marquis », de Michel Onfray (Autrement)