Après un premier roman, Le Chemin des âmes, encensé par la critique, voici le second volet de l’histoire, selon Joseph Boyden, des Cree du grand Nord canadien. Les Saisons de la solitude est un dialogue sourd : deux longs monologues se font écho, la voix de Will, ancien pilote d’avion dans un coma profond, se mêlant à celle de sa nièce Annie, qui chaque jour s’assied au chevet de son lit d’hôpital. Les souvenirs de l’inconscient et l’histoire de la jeune femme forment la trame d’un récit dévolu à l’exorcisation de drames, récents ou plus anciens.

Mettant en scène deux générations, Boyden exalte, comme il l’avait fait dans son recueil de nouvelles Là-haut vers le nord, les territoires de l’extrême Nord canadien, leur beauté, leur sauvagerie, leur désolation. Moonsoonee, le village d’où sont originaires Annie et Will, est au bout de nulle part. Pourtant, son isolement, pas plus qu’il n’a su empêcher l’assimilation contrainte des Indiens, l’enlèvement des enfants à leurs familles, l’effacement des traditions, n’empêche aujourd’hui qu’après l’alcool et la malbouffe, qui ont ravagé les générations intermédiaires, les jeunes se noient dans la meth et la cocaïne en provenance du Sud. Boyden, dans un jeu un rien facile, oppose la tradition aux grandes villes, Toronto, ou New York, cette Sodome. Les filles de Moosoonee quittent leur famille, attirées par le mirage d’une vie facile ; la sœur d’Annie, Suzanne, par qui le drame arrive, joue au mannequin, se perd dans les mirages de la drogue, de l’argent ; Annie raconte à l’oncle Will cette existence à laquelle elle goûte elle aussi, en partant à la recherche de sa sœur. Victime d’une agression, Will reste pour sa part plongé dans le silence, ce qui n’interdit pas à Boyden de nous livrer ses souvenirs, sa mémoire muette. Le vieil Indien voit ce qui arrive aux siens. Il a compris et choisi, un temps, de partir toujours plus loin au Nord, de renouer avec l’existence des anciens : chasse, pêche, rythme des saisons, solitude extrême, silence assourdissant. Ces pages qui racontent l’autre vie de Will sont celles qui résonnent avec le plus de justesse, le plus d’originalité, et permettent à Boyden de sortir du manichéisme. Mais Will ne parvient pas, bien sûr, à rester là-haut, dans les forêts. Le retour aux sources n’est pas possible. Ce qui est en jeu, c’est la quête identitaire, les repères perdus. Revenir aux origines n’est pas ici synonyme de renaissance.

Le fonds du récit posé, force est de constater que Boyden, contrairement à ses précédents livres, échoue à éviter l’écueil du mélo. La quête de l’oncle, le dévouement de sa nièce, l’alternance entre le récit frivole de la vie à Toronto et New York, la critique ordonnée de l’Amérique, l’exacerbation de la tradition, sont des ressorts trop aisés à manœuvrer. Cela n’a pas empêché le roman d’obtenir en 2008 le Giller Prize, ce qu’on peut expliquer par la volonté de Boyden de demeurer dans son univers, sans concession, par sa détermination à raconter toujours les « First Nations » canadiennes, par la cohérence finalement de sa démarche littéraire. Ou pas.