Pour ceux qui ont aimé Tout est illuminé, le précédent roman du « surdoué » Foer, comme pour ceux qui ont lu l’opus No. 1 en se demandant si on ne leur avait pas un peu survendu l’affaire, Extrêmement fort et incroyablement près ne sera ni une déception, ni une bonne surprise, puisqu’il s’inscrit dans une continuité parfaite, et même un peu inquiétante, de l’oeuvre du jeune écrivain de Brooklyn.

Jonathan Safran Foer est de retour avec un roman qui brasse des thèmes (perte de l’être aimé, généalogie) et possède une structure (le récit polyphonique) quasiment identiques au précédent. L’humour, l’abstraction, un don certain pour les cocasseries, toutes les gentilles qualités de l’auteur se retrouvent dans Extrêmement fort et incroyablement près, à une nouveauté près, cependant, qui laisse présager les excès futurs : un travail de conception graphique post-moderne très branché qui, aussi distrayant qu’il puisse être, offre de trop fréquentes occasions d’interrompre une lecture au final assez fastidieuse.

Extrêmement fort et incroyablement près raconte l’histoire d’Oskar Schell, 9 ans, un garçon au QI hors du commun, qui a perdu son père dans l’attentat du World Trade Centre. Le deuil dans les yeux et par la voix d’un enfant : c’est l’un des atouts initiaux du livre, son originalité et finalement sa ruine. Inventeur de génie (dans sa tête au moins), Oskar est persuadé (et nous persuade) que sa quête de la serrure qu’est censée ouvrir une clef trouvée dans un vase bleu le lendemain de l’attentat va donner un sens à l’annihilation paternelle (dans son chagrin, sa mère décide d’organiser les obsèques en emmenant un cercueil vide au cimetière). Tissée dans cette première couche du récit (on reconnaîtra la méthode utilisée dans Tout est illuminé) surgit une autre histoire, à deux voix, celle des grands parents d’Oskar qui, en fin de livre, parviendront à résoudre le drame originel de leur séparation.

Outre le fait que les structures des deux romans de Foer se ressemblent et pourraient même, en théorie, se conjuguer à l’infini (mais combien d’histoires de petits garçons qui aiment leurs grands parents allons-nous encore devoir lire ?), c’est la tentation picturale un tantinet puérile, le besoin d’illustrer le deuil et la rédemption en images, qui s’expliquent le moins ici. Jonathan Safran Foer a un réel talent d’inventeur de situations, une obsession de muséographe pour les contes et drôleries en tout genre. Oskar est un nerd sensible, enfant solitaire sans être autiste, utilisateur de Google à des fins strictement humanitaires -bref, un JSF en miniature. Il ne joue pas aux jeux vidéo, parcourt Central Park tout seul avec son sac à dos, parle aux inconnus dans la rue. Mais la douleur, la perte, le chagrin des personnages, la tragédie du 11-Septembre elle-même, tout cela est enfoui sous un bric-à-brac de superficialités et de digressions bon teint, dont les images qui parsèment le livre (dessins colorés, photographies de mains, de têtes, de poignées de porte, la célèbre chute d’un corps anonyme du haut de l’une des tours) ne sont que la partie émergée. Lorsqu’il s’agit d’évoquer avec des mots le bombardement de Dresde en 1945, le sens est étouffé par l’abstraction vaporeuse des phrases et les circonvolutions du récit. L’explication est peut-être à trouver dans ce qui se trouve être au centre du roman. Jonathan Safran Foer s’est attaqué, comme beaucoup d’autres new-yorkais désormais, à la tragédie du 11-Septembre ; mais au lieu d’examiner son sujet de manière frontale, il semble qu’il ait cherché, au contraire, toutes les diversions pour en parler le moins possible. C’est d’autant plus gênant que son livre partage avec le précédent un autre défaut : il est bavard. On sautera donc quelques passages et, en prétextant un coup d’oeil à la prochaine astuce graphique, on se laissera porter jusqu’à la dernière phrase, qui fleure bon le nouveau cocon new-yorkais : « On aurait rien eu à craindre ». Symptomatique.