On connaît le goût du cinéma américain pour les suites. Après la lecture de La Route du retour, où l’on retrouve Dalva, l’héroïne éponyme du roman qui a fait connaître Jim Harrison au grand public, on prie pour que Hollywood ne s’empare pas de celui-ci, car on a déjà subi les trahisons précédentes de ces scénaristes, en mal d’inspiration, adaptant et réduisant Légendes d’automne et Dalva à des histoires pour jeunes filles entrant dans l’âge ingrat. Mais, heureusement, la structure romanesque de La Route du retour permet d’éviter l’éventuel pillage d’un futur navet, car ce cinéma-là s’accommode assez difficilement d’une narration fragmentée. C’est précisément l’une des réussites de ce roman qui nous offre cinq journaux intimes et nous donne à entendre cinq voix d’une même famille.

Le roman commence par le journal de J.W. Northridge, père autoritaire, artiste raté, qui au seuil de la mort, sur la route du retour, sonde son passé et s’interroge pour la dernière fois sur les figures qui ont peuplé sa vie : le suicide d’Adelle, la mort de son fils. Le second journal est celui de Nelse, enfant abandonné par Dalva (petite-fille de J.W. Northridge) lorsqu’elle avait quinze ans parce qu’issu d’une union consanguine, qui sillonne les routes américaines, « souffrant » de nomadisme. Les trois derniers, ceux de Naomi (mère de Dalva), Paul (fils du J.W. Northridge) et Dalva commencent au moment où Nelse, fatigué par ses errances, surgit dans la famille des Northridge.

Ce qui aurait pu devenir aisément, avec un écrivain de seconde zone, une vulgaire saga familiale devient avec Jim Harrison une fresque lyrique bouleversante. Au-delà de l’histoire d’une famille, La Route du retour est un récit qui fait surgir la confidence, le murmure, l’aveu. Aveu d’extase panthéiste d’être dans le monde, paroles de personnages en quête de jouissance et de communion avec la nature, privilégiant l’expérience charnelle à l’expérience cérébrale. Chaque personnage célèbre à sa manière ses noces avec la terre afin d’y retrouver une unité que la société moderne enlève et annihile. Les personnages qui ont fui le Nebraska y reviennent, délaissent la ville, à l’image de l’auteur lui-même qui, dit-on, vit dans une petite cabane sur les lieux de son enfance dans le Michigan car c’est seulement là, à l’abri de l’agitation urbaine, que les rites renaissent, que l’état contemplatif fait sens. Faut-il le dire ? La Route du retour arrache quelques larmes, on est saisi par la puissance de l’écriture, tantôt nerveuse lorsqu’il s’agit des pérégrinations agitées de Nelse, tantôt calme et sereine au moment de l’attente de la mort des personnages qui ouvrent et ferment le roman. Elle se fait alors chant séculier, elle nous livre le secret du monde.