Il faudrait pouvoir disparaître. Totalement. S’en tenir à quelques arpents de terre, ou de bitume. Y circuler librement, l’esprit vagabond, sans souci de la pression harassante de l’environnement -urbanité nuisible-, sans souci de l’écriture. Ce dernier effort, vital pour tout écrivain digne de ce nom, voit pourtant en Jean-Claude Pirotte, qui se refuse à tout, sauf à écrire de jolies narrations sur le temps qui passe, l’un de ses plus solides représentants. Le poète trouve dans les paysages son langage comme l’ivresse de son âme. Roi d’une création désordonnée, ce flâneur infatigable ponctue ses étapes de « verres de contacts » : par ici un gevrey-chambertin, par là un sainte-croix-du-mont. Sans oublier cognac, pauillac, ou son cher vignoble du Cabardès. Autour du verre, seul ou avec des amis -s’il est bon de boire avec eux, comme le disait un autre amoureux d’élixirs (Antoine Blondin), « on est toujours soûl tout seul »-, se dessine une géographie de l’imaginaire toute personnelle. Ode à la vie, ode à la poésie. Les lettres s’agencent avec souplesse, en des tonalités subtiles, jamais grondantes. Cette musicalité court tout au long de ces feuilles volantes, instantanés retenant les sensations éprouvées dans l’instant ou le reflux des souvenirs venus s’inviter dans la mémoire de l’auteur sans crier gare. Y résonnent la voix de l’ami André Dhôtel, les grondements d’un orage, le bruissement de feuillages dans des contrées lentement apprivoisées. L’être s’y resserre en un point essentiel, opère un retour sur lui-même, en silence. Au fond, cette paresse créatrice dit bien les choses : toute action est un refus de mourir. Que le vin nous révèle à des beautés enfouies ou qu’il pique notre mémoire, rien ne paraît moins contre nature. L’apprentissage ne prend jamais fin, voilà tout. Et tout compte fait, à part deux-trois idées saugrenues (épouser une duchesse, lire Pindare, incendier les locaux de Chronic’art), boire de la sorte est ce que l’on fera de mieux dans notre vie.