Dans ses interviews à la presse, James Frey présentait ses « mémoires » comme le premier meilleur roman qu’il pouvait envisager d’écrire, et pour cause : il l’avait vécu. Nous l’avions rencontré pour la sortie de Mille morceaux, un gros livre qui retraçait sa cure de désintoxication, sa pénibilité, son horreur, replaçant chaque toxico à sa place, racontant leurs souffrances. A l’époque, Mon ami Léonard était déjà en route, deuxième opus, après la cure, récit du retour à la vie. James Frey se présentait volontiers comme le futur plus grand écrivain du siècle nouveau, un Norman Mailer d’aujourd’hui. La presse le portait aux nues. C’était avant la polémique, avant les procès. Une histoire presque invraisemblable. L’accusation est venue d’un site web américain spécialisé dans les scoops sur les people : cette autobiographie n’en serait pas une car Frey l’aurait embellie, arrangée, truquée. Et ce faisant, selon les critères américains, il aurait tout simplement volé le lecteur en proposant comme vécu quelque chose qui ne serait pas parfaitement exact. Aujourd’hui, après un incroyable lynchage médiatique, on en est au remboursement des livres vendus ! Quant à James Frey, étiqueté écrivain menteur, il a quasiment disparu. Pourtant, ce qu’il raconte dans Mille morceaux et Mon ami Léonard, version fantasmée ou non du réel, correspond à une réalité qu’il aurait eue du mal à imaginer sans son vécu. La frontière est à chercher ici : comment reprocher à un écrivain de se nourrir de son expérience pour raconter ? « Ça a été dur, très dur », nous disait-il à propos de sa sortie de cure. « Je suis allé en prison, et je suis sorti alors que ma copine venait de se suicider. Ça a été difficile pendant deux ans. C’est terrible, quand tout s’arrête. On se sent mal. Pendant deux ans, je faisais des cauchemars, je ne pouvais plus dormir. J’étais déprimé, obsédé, en permanence en colère. J’ai pensé à mourir. Et puis c’est parti. Je ne rêve plus jamais comme ça ». Ce qu’il écrit, si ce n’est pas lui, vient de lui, de son passé, de son expérience.

Mon ami Léonard, à ce titre, est d’ailleurs plus intéressant que Mille morceaux, largement surmédiatisé. Ici, pas d’effets de styles : la forme redevient plus classique, le récit gagne en efficacité. On assiste au retour à la vie de James Frey, étroitement chaperonné par un père de substitution bien singulier, Léonard, un parrain de la pègre qui roule en limousines blanches avec son homme de main Barracuda, qui offre des dîners gargantuesques à ses amis, qui donne des solutions à tous les problèmes qui surviennent. Un homme rencontré en centre de désintoxication, un homme en qui Frey, même dans les moments les plus difficiles, sait qu’il pourra trouver un soutien. Un meilleur ami, donc, un ami redoutable, qui lui a sauvé la vie plus d’une fois et lui a rendu l’envie d’aller de l’avant. Frey raconte, se raconte, tant dans ces excès de la vie aux côtés d’un truand que dans les choses les plus simples du quotidien, ses rencontres, les bars de Chicago, les nuits glaciales, une traversée en voiture de l’Amérique, la découverte de Los Angeles, ses débuts dans le cinéma. La fin de l’histoire est à la hauteur de la démesure du personnage de Léonard, de ses secrets. Et Frey, qui voulait écrire un roman sur une amitié singulière, y réussit pleinement. Réel ou fiction ? Aucune importance : personne n’écrit sans se réinventer. Mon ami Léonard est un roman complet, raconté toujours avec un ton juste, sans complaisance excessive, sans débordements. C’est un livre sincère, bref, un assez beau texte. A juger l’écrivain, il gagne plus ici que dans Mille morceaux, qui avait indéniablement profité d’un marketing surfait, nourrissant les goûts du grand public américain pour les vérités chocs, les confessions dramatiques. La fiction n’a pas que de mauvais côtés. Il faut peut-être accepter de relire Frey en lui reconnaissant des qualités de romancier. Et le reconnaître : James Frey est un romancier, et sûrement pas le pire.