Que faut-il penser d’un éditeur qui rassemble cinq textes de Svevo dont chacun témoigne de son amour du tabac ? Quel est l’intérêt ? D’abord, on découvre un Svevo passionné, lyrique et désespéré à travers les extraits du Journal pour sa fiancée et les Lettres à sa femme, aveux touchants d’un homme qui désire ardemment devenir un mari idéal sans y parvenir. Ensuite, on est à nouveau persuadé que l’auteur de La Conscience de Zeno est un romancier génial en relisant le chapitre Dernières cigarettes et la nouvelle Mes loisirs qui devait faire partie du roman qu’il avait entrepris avant de mourir.

Mais il faut bien le dire, ce recueil est un peu mince et l’on ne comprend pas bien pourquoi les éditeurs ont fait cette sélection qui peut apparaître parfois comme une trahison. Car Journal pour sa fiancée et les Lettres à sa femme ont été coupés de telle manière que sont mis bout à bout les extraits qui rendent compte du goût immodéré de Svevo pour la cigarette. Ce procédé incontestablement trompe le lecteur sur la place du tabac dans la vie de l’auteur en lui donnant une fonction démesurée. L’intimité d’un auteur ne peut supporter la compilation. La nouvelle Mes loisirs est la preuve indéniable que le thème choisi par les éditeurs est pauvre et superficiel. On est bien loin du tabac dans Mes loisirs, il s’agit là d’un homme qui refuse la mort prochaine et essaie de défier les lois de la nature en se persuadant que « Dame Nature » raye et supprime les êtres dès qu’ils ne sont plus capables de se reproduire. La solution est simple : montrer à « Dame Nature », en prenant une maîtresse de vingt-quatre ans, qu’il est toujours apte à la reproduction ! Le ton est délibérément ironique et la situation grotesque, mais comme toujours chez Svevo l’écriture, par le biais de la comédie, est une interrogation existentielle profonde d’un auteur qui se voit vieillir. Le rapport avec le tabac : le personnage est un fumeur, et la dite maîtresse une buraliste ! Enfin, intégrer à ce recueil un chapitre de La Conscience de Zeno, c’est véritablement tronquer une œuvre pour les nécessités éditoriales, c’est faire du remplissage pour que le livre ait un sens. Une certitude après la lecture de Dernières cigarettes : Svevo fut effectivement un grand fumeur mais peu importe, il fut surtout un grand écrivain. Alors relisons plutôt La Conscience de Zeno, les Ecrits intimes et Essais et lettres dans leur intégralité. Rendons grâce cependant aux éditeurs qui nous donne ici l’envie de nous plonger à nouveau dans son œuvre.