Pour nous relaxer de la lecture des Journaux 1950-1962 de Sylvia Plath (ouvrage chroniqué dans ce numéro), nous nous sommes offert la critique de Trick Baby, nouveau venu dans la collection Soul Fiction des éditions de l’Olivier. Nous frémissions encore du souvenir de Pimp, le tout premier Iceberg Slim traduit en français, lorsque celui-ci nous est parvenu. Pimp, c’étaient les mémoires d’un maquereau noir des années 50, autrement dit l’autobiographie de Robert Beck, surnommé « Iceberg Slim » en raison, on s’en doutera, d’une froideur de glaçon doublée d’une finesse de panthère. En comparaison de Pimp, Trick Baby opère un léger changement de décor. La pêche au maquereau est terminée ; il est maintenant temps de faire cap sur le monde des arnaqueurs.

Trick Baby est, au même titre que Iceberg Slim, un sobriquet. A croire que dans le ghetto, il ne fait pas bon porter son vrai nom. D’autant plus que celui de notre héros, né d’un père irlandais, est O’Brien. Métis, il a seize ans quand sa mère, la belle Phala, danseuse en string pailleté, lessivée par la piste et le whisky, est violée par une quinzaine de paumés et laissée pour folle dans la rue, nue et souillée. Pour éviter la brigade des mineurs, Trick Baby s’enfuit et tombe dans les pattes accueillantes d’Old Blue, professionnel de l’arnaque, qui lui transmet tous ses secrets. Son ascension est l’occasion pour nous de renouer avec plaisir avec le schéma disciple/initiateur, qui avait si bien fonctionné dans Pimp. Trick Baby accumule les billets verts et s’achète des costards à la coupe impeccable. Un soir, au Music Box Bar, il rencontre la « Déesse » : « Elle leva les yeux vers moi. Des étoiles émeraude brillaient dans ses grands yeux gris. Dans la lumière pastel, des étincelles cascadaient dans sa chevelure platinée relevée en couronne » (p. 208). Plus loin (p. 223), les métaphores deviennent ardues. Nous vous laissons les découvrir. Un jour, Trick Baby et Blue s’attaquent à la mafia. Voilà pour l’accroche.

L’intrigue se résume à un cocktail bien dosé de combines à la pelle, de bagnoles chromées et de pépées bien carrossées, dans un décor flottant entre ghetto délabré et boîtes de nuit rutilantes arrosées de champagne et de jazz. Le ton soulage, repose, excite. Goûtez : « Les paillettes dans les cheveux de la serveuse me faisaient penser aux éclats de mica étincelant sur les pierres d’un cimetière par un jour ensoleillé » (p. 22). « Mon poing s’enfonça dans sa mâchoire ; un craquement sec comme une batte cognant la balle. Je ressentis la secousse jusque dans mon coude. Il tomba à la renverse, rebondit par terre. Un filet de vomissure de moutarde serpenta sur sa joue » (p. 95). C’est clair, on n’est plus à Saint-Germain-des-Prés, englués dans une littérature de quartier à la colle avec son nombril. Joyeusement hâtif, décapant, flamboyant parfois. A lire absolument. Jamais plus, vous ne voudrez gagner votre vie honnêtement.