Howard Jacobson, 73 ans, a publié depuis 1983 une douzaine de romans humoristiques qui ont fait de lui une vedette, avec des personnages de Juifs anglais qui lui ont valu la réputation d’un Philip Roth british. On l’a découvert en France en 2011 grâce à La Question Finkler, lauréat l’année précédente du Man Booker Prize ; puis ont été traduits Kalooki Nights (2006) et La Grande ménagerie (2012), amusante satire du monde littéraire à l’heure de Twitter, dans une veine résolument burlesque. Il ne plaisante plus dans J, son nouveau roman, à nouveau sélectionné l’an dernier pour le Man Booker Prize (finalement remporté par l’Australien Richard Flannagan), où il expérimente un genre nouveau : la contre-uchronie, description d’une société future antipathique, souvent située par les auteurs après une apocalypse (explosion nucléaire, guerre civile, pandémie, etc.)

Nous voici donc dans un pays qui pourrait être la Grande-Bretagne, dans un avenir possiblement proche. Le pays, en proie à la violence, tente d’oublier de mystérieux événements que tout le monde se refuse à nommer, évoqués seulement par périphrase : « Ce qui s’est produit, si ça c’est produit ». Pour couper la population de ce passé honni, le Gouvernement incite les gens à adopter de nouveaux noms. La capitale, rebaptisée « la Nécropole », cœur des événements, se porte mal : elle « s’était remise, dans une certaine limite, mais son image de grand centre de la finance et des plaisirs s’était ébréchée. Le taux de divorces y était plus élevé qu’ailleurs. Tout comme les violences conjugales avec arme à feu. Les hommes urinaient dans les rues. Les femmes se crêpaient le chignon, utilisaient un langage ordurier, sa saoulaient et vomissaient tranquillement là où les hommes avaient uriné ». Plus bizarre encore, certains, chaque fois qu’ils prononcent un mot en J, posent deux doigts sur leur bouche, pour s’empêcher de dire la lettre ; laquelle est imprimée avec deux barres, ainsi que sur la couverture. Si un groupe porte un nom commençant ainsi, ce nom ne sera pas dit. Dans ce décor sinistre, Jacobson met en scène deux personnages, Kevern et Ailinn, épris l’un de l’autre, issus tous les deux d’un village frappé par une série d’assassinats…

John Burnside, qu’on a connu plus lucide, a beau expliquer dans le Guardian que Jacobson a écrit avec J le grand roman dystopique d’aujourd’hui, on ne peut s’empêcher de trouver que ce livre illustre surtout combien il est difficile de s’aventurer dans le genre sans être pataud ou ridicule, ni tomber dans l’un des écueils possibles – l’invraisemblance, le décor-prétexte (inventer une société futuriste pour une intrigue qui pourrait se dérouler ailleurs), le didactisme, les ficelles, la lourdeur. Extrait d’un dialogue, page 249 : « – Qu’est-ce qui ne brûle pas ? – L’amour et la haine, dit-elle. Mais je me trompe peut-être pour l’amour. – Comment peut-on brûler l’amour ? demanda Sibella. – En brûlant les gens qui l’éprouvent. – Alors pourquoi ne peut-on pas brûler la haine ? – Parce que la haine existe en dehors des gens. Comme un virus. Les gens l’attrapent ». L’intrigue et les sous-intrigues, laborieuses, peinent à convaincre ; quant à la fascination que devrait inspirer le décor, elle est anéantie par les vagues effets comiques que l’auteur, fidèle à sa veine ancienne, ne peut s’empêcher de glisser ici et là, et qui font hésiter si l’on est dans une variante maladroite de 1984 ou dans un épisode de sitcom. Dans ces conditions, le propos polémique ou édifiant qu’on peut lui prêter rate complètement son effet.