Quand les mots de littérature fantastique sont lancés, on pense souvent à des auteurs tels Edgar Allan Poe, H.P. Lovecraft, Oscar Wilde ou encore Villiers de L’Isle-Adam, Guy de Maupassant… Mais rarement à Horacio Quiroga. Pourtant, il fut celui qui introduisit la nouvelle fantastique dans la littérature latino-américaine.

Contrairement à ses illustres prédécesseurs, il n’utilise pas des personnages irréels, hors du temps, pour les plonger dans un monde fantastique, mais des hommes et des femmes qu’il côtoie. Et qui, à un moment donné de leur vie, se trouvent confrontés à une de ces « choses singulières » où le surnaturel prend toute sa mesure. Mais là où il exerce une réelle fascination sur le lecteur, c’est quand celui-ci réalise que, à la fin de chaque nouvelle, il a le sentiment que ce qu’il vient de lire est plausible. Si ça fonctionne, c’est parce qu’Horacio Quiroga ne joue pas sur le registre habituel du fantastique, même s’il en explore les thèmes, comme dans Les Bateaux suicides, une histoire de bateau fantôme ; ou encore L’Oreiller de plumes, un récit dans lequel on découvre une bête monstrueuse suceuse de sang.
Ici, le fantastique est avant tout « réalisme de l’étrange », un réalisme plongeant le lecteur dans l’effroi. « L’homme marcha sur quelque chose de mou et sentit aussitôt la morsure à son pied. Il bondit en avant et, en se retournant, il vit en jurant une yararacusu qui, enroulée sur elle-même, attendait une autre attaque. L’homme jeta un rapide coup d’œil à son pied, où deux gouttelettes de sang grossissaient péniblement, et sortit sa machette de sa ceinture. Le serpent vit la menace et enfonça davantage la tête au centre même de sa spirale ; mais le dos de la lame tomba, lui disloquant les vertèbres. » L’homme dont il est question dans cette nouvelle, A la dérive, vit dans un univers dont il connaît tous les risques, les dangers, et pourtant le monde bascule pour lui.

Ce récit d’un homme confronté à la mort n’est qu’un des possibles de ces Contes d’amour de folie et de mort. Chacun de ces récits explore les méandres de l’amour et de la folie, de l’amour et de la mort, de la folie et de la mort…, avec concision, brièveté. « Le conte est, au vu de sa fin intrinsèque, une flèche soigneusement pointée qui part de l’arc pour aller directement dans le mille. » C’est ainsi que Horacio Quiroga définissait le conte, et l’objectif qu’il s’était fixé. Mais cet objectif n’aurait pu être atteint s’il n’y avait eu le style pour l’appuyer. L’écriture y est épurée, souvent sèche, parfois glaciale, dominée par l’ambition de traduire ce qu’il y a de plus vif ou de plus profond dans la réalité. Soit l’expression d’une expérience vitale qui défie toute raison.