Voici un livre double, écrit en quelque sorte par deux auteurs, et dont on peut ne lire que la moitié. En réalité, il fonctionne par couples : six couples, précisément, correspondant à autant de cimetières célèbres – Highgate à Londres, le Père-Lachaise à Paris, Donskoï à Moscou, Greenwood à New-York, Yokohama et Jérusalem. Pour chacun d’eux, Grigori Tchkhartichvili propose une sorte de récit intime sur ses pérégrinations personnelles entre les tombes, fournit des anecdotes, prend des photos ; après quoi Boris Akounine, son co-auteur, imagine une nouvelle en rapport avec le lieu, avec ses morts célèbres (Wilde à Paris, Marx à Londres, etc.)

Un bel exercice de collaboration littéraire, en somme, si ce n’est, on l’a deviné, que Boris Akounine et Grigori Tchkhartichvili ne font qu’un, le premier, mondialement connu pour ses polars historiques, étant, ainsi que le savent ses fans, le pseudonyme du second. Lesdits fans, précisément, se rueront vers les nouvelles, dont l’une leur est déjà connue (« Shigumo », traduite en 2010 dans Le Chapelet de Jade, deuxième volet de la série « Dédicaces », où Akounine, à travers son personnage fétiche Eraste Fandorine, pastichait divers écrivains, de Simenon à Poe et Maurice Leblanc). Les autres préféreront les textes qui les précèdent, et ils auront raison : là où les nouvelles sont longuettes et peu inspirées, les récits, eux, débordent d’humour et de personnalité.

Voyez l’accroche, dans l’introduction : « Savez-vous ce que je trouve de plus intrigant [sic] chez les habitants de Moscou, de Paris, d’Amsterdam, et à plus forte raison de Rome ou de Jérusalem ? C’est que la majorité d’entre eux sont morts ». Et ce magnifique paragraphe dans le chapitre sur le Père-Lachaise : « La vraie France, celle de la réalité et non celle des livres, est un pays aussi ennuyeux, aussi prosaïque que tous les autres pays du monde ; ses habitants se soucient avant tout non pas de l’amour, de l’aventure et du mysticisme, mais des impôts, de l’immobilier et des prix de l’essence. C’est pourquoi le Père-Lachaise est une vraie consolation pour le francophile, catégorie à laquelle se rattachent quatre-vingt-dix-neuf pour cent de l’humanité, à l’exception peut-être des Corses et des indépendantistes néo-calédoniens ».

Toutes les pages « personnelles » sur les cimetières sont de cette eau, et on regrette presque qu’elles soient secondées de textes fictionnels qui ne font pas le poids. Mais on suppose qu’Akounine ne nous en voudrait pas s’il apprenait qu’on préfère lire ces Histoires à moitié, en gardant le reste de son temps pour contempler les splendides dessins de Tatiana Nikitina qui font écho aux photos, qui achèvent de faire de ce (demi-)-livre un objet attachant et intrigant.

 

« Histoires de cimetières », de Boris Akounine / Grigori Tchkhartichvili (Noir sur Blanc, traduit du russe par Paul Lequesne)