Dans le grenier de son oncle Simon, Tora se prend à rêver qu’elle est en sécurité. Au milieu des tonneaux, de la laine de verre et des cartons, elle écoute les bruits assourdis du monde, en se disant qu’il va falloir redescendre pour l’affronter. Le péril est partout, tapi dans les recoins de sa maison, sur la route de l’école, dans les chemins boueux de ce petit village de Norvège, austère et fruste. Tora ne dit rien, elle subit les agressions en se cachant les yeux, en attendant que ça passe. Son calvaire est manifeste, mais aucun ne prend le temps, ne se donne la peine de le regarder en face. Elle est le fruit des amours scandaleuses d’une fille du village et d’un soldat allemand de passage, pendant la guerre. Bâtarde marquée au fer rouge, elle est montrée du doigt. Les enfants sont cruels, les adultes sont pleutres et immondes. Tora apprend qui elle est par petites bribes… Ingrid, sa mère, est incapable de la protéger des sarcasmes ou même de lui raconter son histoire. Elle reste tondue à jamais et choisit un chef de famille, Henrik, un sinistre raté. Alcoolique et brutal, il est aussi un voleur d’innocence, le soir où il décide d’instituer un nouveau rituel dans l’arrière-cuisine.
Tora survit désormais au rythme des viols du mari de sa mère. Le silence, la peur, la honte ont vite fait d’investir le logis. La petite rouquine, meurtrie à jamais, est à peine sortie de la petite enfance qu’elle s’invente un monde pour échapper à l’enfer qu’elle vit sur terre. L’opacité assombrit tout sur son passage, telle une chape de plomb qui se dresse entre elle et les autres. Tora sauve quelques moments d’enfantillages, les jours qu’elle passe avec sa tante Rakel, avec son amie Soleil, et plus rarement avec sa mère. Mais elle sait qu’ils dureront le temps de son silence.

Herbjorg Wassmo trouve les mots qui font mal pour décrire l’horreur de ces enfances brisées où l’évidence côtoie l’indifférence. La Véranda aveugle, c’est ce mélange de limpidité et de dissimulation qui caractérise les cas de viol qui perdurent dans l’indifférence, l’aveuglement et parfois l’hypocrisie du voisinage et même des proches. C’est aussi le premier volet de la trilogie de Tora, dont les deux autres volumes La Chambre silencieuse et Ciel cruel seront prochainement disponibles dans la même collection.