Ce roman publié pour la première fois aux USA en 1957 est un témoignage important, en noir et blanc, sur l’Amérique des années 50. Petites vies kitsch, petits rêves minables. Les sapes et les bagnoles sont les signes indéniables de la réussite sociale. L’essentiel, aussi pauvre et imbécile soit-on, est d’être ou de paraître « dans le coup ». Ceux qui ne sont pas « dans le coup » sont des « caves ». Où l’on réalise que le rêve américain, dans ces années-là, se résume à l’idéal de l’automobile rouge, le broum-broum pouèt ! pouèt ! et du costard élégant, en flanelle ou en soie. Soyons creux et désinvoltes, le Bon Dieu, c’est le regard d’autrui. Les vanités et les petites prétentions se frictionnent, les gangs se cassent la gueule sur fond musical de West Side Story. Les meufs sont des petites poupées et les dialogues sont consternants.

La drogue apparaît déjà comme le chemin beaucoup plus direct pour aller caresser les étoiles : on sait ce qu’on perd, on sait ce qu’on gagne. Elle jouit encore de l’aura quasi mystique des musiciens de jazz, véritables divinités, sur lesquels la police ferme à demi les yeux. Fléau, néanmoins. Quand on a la peau noire et que l’on vit dans un quartier pauvre, il y a très peu de chance de s’en sortir. Jake, notre héros, est noir et pauvre. Il choisit le bon côté du manche : vendre plutôt que consommer. Avec cela, il fait fortune (relative ; au moins de quoi rouler en voiture rouge). Tout va bien. Il fera le faux pas en s’amourachant d’une blanche. Ici commence la chute. La faute inexpiable pour l’Amérique blanche n’est pas tant le trafic de drogue, un business comme un autre après tout, que le Noir qui touche à une de ses filles, aussi dinde et cul-cul soit-elle. On se demande d’ailleurs ce que notre héros dur-à-cuire peut trouver à ce gigot… Bref, la faute lui coûtera très cher.

Ce roman a connu le succès à sa sortie. L’auteur appuie là où ça fait mal : le racisme, les classes sociales, la violence urbaine. Il y a de très bons passages, nerveux, rigoureux, le ton juste. Malheureusement enchâssés dans un scénario de sitcom épouvantable, qui respire à plein nez les techniques de creative writing. Des dialogues affligeants ; des personnages secondaires très secondaires ; les rires pré-enregistrés insupportables (Ils éclatèrent de rire ; en éclatant de rire ; tout le monde s’écroula de rire ; ils éclatèrent de rire ; il y eut un éclat de rire ; tout le monde s’essaya à rire) ; et une quantité d’ingrédients artificiels bien pénibles dans un plan de dissertation bien visible. Enfin, est-ce un clin d’œil du traducteur, l’expression « les yeux lourds et indifférents » employée trois fois en dix lignes, au bas de la page 141, je ne mens pas…