Saluons tout d’abord l’éditeur de ce livre, éditeur discret autant que remarquable. Les éditions Cylibris furent en effet les premiers -bien avant 00h00– à proposer directement via Internet les ouvrages d’un nombre non négligeable de jeunes écrivains. Avec pour objectif de profiter de ce que la publication d’extraits de textes sur le réseau et l’impression numérique coûtent moins cher pour donner à des premiers romans la chance et la visibilité que la plupart des éditeurs « papiers » leur refusent (faute de vouloir prendre quelques risques). Le livre de Gérald Bronner, premier roman réussi d’un professeur de sociologie, appartient à cette catégorie. Remercions donc son éditeur de lui avoir donné la place qu’il mérite.

Journal de l’Apocalypse se présente sous la forme du journal d’un adolescent comme les autres, banal en apparence, menant sa barque comme il le peut entre les conflits avec les parents, l’ennui au lycée, les amitiés et les premières filles. Rapidement néanmoins, une lame de folie s’insinue, dans son esprit comme dans le texte, transformant la narration d’une existence quotidienne en récit d’une guerre dont la fin n’est rien moins que celle du monde. Récit d’une Apocalypse bien différente mais tout aussi symbolique que celle qu’imaginait saint Jean. Le risque était grand, en choisissant une narration à la première personne, de ne pas parvenir à trouver l’équilibre entre les perceptions parfois paranoïaques, souvent hallucinatoires, du personnage, et la nécessité d’un récit construit avec subtilité et clairement mené. Gérald Bronner y parvient grâce à une écriture précise et dense, résolument moderne mais sans artifices ni exagérations. Le lecteur entre ainsi, dès le début du texte (malgré de toutes premières pages moins réussies), dans l’univers de l’adolescent en proie à des démons d’abord propres à son âge puis s’approchant, peu à peu, de ceux qui hantent les hommes, quels qu’ils soient.

Le narrateur croise deux filles dans la rue. « La première disait : « Imagine que le monde ne soit qu’un rêve… ». L’autre lui a répondu : « Je te raconte pas la gueule du rêve. » En prenant pour objectif de montrer que, derrière la sale gueule d’un rêve d’adolescent, se cache un entremêlement étonnant de phobies et de fantasmes, Gérald Bronner parvient à rendre compte, sans avoir l’air d’y toucher, simplement avec talent et imagination, de la complexité qui attend tout jeune homme à l’aube de son destin.