Gary Indiana (Hoisington de son vrai nom) cumule de multiples casquettes : chroniqueur, journaliste, romancier, photographe. Son écriture nette et précise, qui tient du reportage autant que du roman, s’en ressent. A louer (For rent), paru aux Etats-Unis en 1994, tient pour partie du roman épistolaire ; mais ses lettres qui restent sans réponse, ressemblant ainsi à autant de fragments de journal intime envoyés dans le vide, se font uniquement le reflet d’illusions perdues. Car A louer est, avant toute autre chose, un roman de la désillusion, de l’échec, de la rédemption impossible. Danny, étudiant en architecture le jour, serveur à l’Emerson Club la nuit, prostitué à toute heure, est une ombre sans nom, sans existence réelle. Il semble ne se raccrocher au monde que par l’intermédiaire de ces lettres qu’il envoie sans relâche à un certain « J. » (ancien amant ? ancien amour ? simple connaissance ?). Il donne l’impression de se confier pleinement à lui, mais rien n’est vrai. D’ailleurs, Danny l’avoue finalement, alors qu’on s’en doutait depuis longtemps : « En fait, J., je ne m’appelle pas vraiment Danny non plus. Je n’ai pas de nom. Je vis là où les choses sont anonymes, et le reste est silence ». La clef du roman est là, dans cet anonymat. Dans une atmosphère très American psycho, Indiana raconte avant tout la solitude du garçon à louer qui mène sa double vie, sans savoir jamais où sera le point de non retour dont il anticipe pourtant l’existence. Mais pour lutter contre le vide de sens, tout est bon à prendre. Aventures, amours illusoires, rencontres furtives sont autant d’intermèdes à la solitude, au désespoir, au désoeuvrement. Et les lettres sanctionnent chaque nouvelle étape de cette existence qui se perd, oubliant de s’inventer. Danny est une ombre, mais qui ne sait pas s’effacer. Il a beau se dissimuler derrière une multitude de noms, il hante toujours les mêmes lieux, revient toujours vers les mêmes personnes. Et pourtant, nul ne le connaît. Il est un parangon de l’anonymat, du vide et de l’absence, noyé dans une cité tentaculaire qui lui permet à la fois de s’offrir, de se vendre, et de disparaître.

Ce qui frappe dans le texte d’Indiana, c’est l’amertume et le silence, l’impossibilité de parler aux autres, de se raconter, de se révéler. Il n’y a aucune pitié dans son texte, rien qu’un regard qui fouille jusqu’au fond la misère humaine, la dissèque et en fait un outil au service d’une satire de la société contemporaine, au cynisme hallucinatoire. A louer n’explore ainsi pas exactement les mêmes thèmes que ceux abordés dans Trois mois de fièvre (2005), ou Perverse indifférence (2003), mais s’attache cependant comme eux à un certain traitement de la folie, née d’un vide impossible à combler, et d’une indifférence que rien ne justifie. Le travail de fiction d’Indiana, ultra-contemporain, se nourrit de la nuit, de la sexualité, de l’homosexualité, de la violence – souvent extrême. Son regard sur le quotidien s’attache à ce qu’on veut surtout ne jamais voir, une détresse psychologique quasi inhumaine, sans fin. Avec un tel roman, Indiana justifie sa réputation de romancier un rien pervers, attiré par les vicissitudes humaines, capable de banaliser l’inusuel. Dans le monde qu’il raconte, puisque personne ne se connaît vraiment, tous les débordements sont autorisés, une fascination sordide vient tout envahir. Gary Indiana joue de la provocation, avec une vertu : ne jamais oublier de traiter du fond.