Faut pas le rater, ce petit livre-là, qui restera invisible tant il ne rapporte rien aux poseurs de la pensée critique et aux bureaucrates de la politique ou des affaires avec lesquels ils dînent en ville : nuisible à leur propagande, les journaux n’en parleront pas. Les auteurs font preuve de cette belle santé, de cette indispensable honnêteté et de cette grande joie qui manquent trop aux contempteurs savants des mœurs de ce siècle : refusant de « renoncer aux espoirs que de tout temps les peuples ont mis dans les révolutions », ils jugent que c’est le moment d’en « réapproprier le contenu passionnel et humaniste ».
Plutôt que se laisser paralyser par ce « c’est toujours plus compliqué » bien pratique pour les rentiers de la pensée qui réclament vingt ans pour être sûr et ne jamais agir, les auteurs reviennent à l’humanisme de leurs rêves du grand Mai sans être gênés que ceux-ci aient été depuis travestis par la nouvelle idéologie des classes dominantes, mis au service du renouveau du capitalisme. Tournant le dos aux tons apocalyptique ou prophétique qui furent les attributs des élitismes révolutionnaires, ils parcourent avec lucidité les acquis comme les régressions de ces trente dernières années, les valeurs (courtoisie, politesse, idéaux des Lumières, etc.) sacrifiées sur l’autel de la radicalité critique, les pièges où trop d’acteurs importants sont tombés.
Fraîche est la démonstration -et dans une belle langue. Ainsi l’attaque de ce « conformisme libertaire » convenant si bien aux « feignants de la tête… bardés de toutes les certitudes qui sont les plus utiles à fuir la réalité… adeptes des solutions les plus irréalisables, les plus faussement naïves et les plus provocatrices pour l’assurance qu’ils en tirent que jamais personne n’aura le culot ou la folie d’exiger d’eux qu’ils les mettent en pratique, certains par là de goûter éternellement ce confort de l’extrémiste qui fait leur délice ». Ceux-là -si facilement repérables dans l’espace public- « se payent le luxe de cultiver l’irresponsabilité à visage découvert ».
N’évitant pas d’égratigner leurs plus chers modèles (Debord, le situationnisme et l’Encyclopédie des Nuisances), c’est surtout avec les poncifs « révolutionnaires » que les auteurs sont les plus mordants : « Il est bien entendu que toute norme est oppressive, toute autorité liberticide, que les minorités sont toujours opprimées, que les femmes et les homosexuels sont porteurs d’un potentiel de subversion, que les immigrés sont nos frères en révolution, que l’amour est toujours subversif… que les jeunes des banlieues sont des résistants à l’ordre établi, etc. »
Enfin, gardons le diagnostic sans haine de la maladie dont nous nous mourons et dont il convient de guérir au plus vite : ces nouveaux modèles d’homme et de femme créés par la bourgeoisie, aussi tristement que « réellement adaptés à notre époque ».