Dans Parij (deuxième roman d’Eric Faye), un dictateur suggérait que l’on supprime le conditionnel de la langue française. Exit l’impossible, l’improbable, l’hypothétique… Partant de là, on a du mal à imaginer ce que deviendrait la littérature, elle qui, justement, parvient à faire exister ce qui n’a pas existé et n’existera peut-être jamais. Eric Faye n’a pas écouté ce dictateur et, du fantastique aux grands mythes, en passant par l’uchronie, a bâti, en quelques œuvres seulement, un petit monde singulier et rare, avouons-le, dans le paysage littéraire contemporain. Le Général Solitude est l’un de ses plus beaux textes. Il s’agissait, à l’origine, d’une nouvelle. Mais Faye n’aime pas l’idée qu’un texte puisse être achevé. Il aura donc décidé de le faire revivre et d’en tirer un court roman.

Nous sommes dans une forêt tropicale d’Amérique latine. L’armée du général Soledad est attendue à Iquita. Une sentinelle vient toutefois avertir Soledad qu’il a vu cinq feux à l’horizon. De qui s’agit-il : l’ennemi, un régiment du même bord, des Indiens ? Soledad stoppe la progression de l’armée, fasciné qu’il est par la présence énigmatique de ces feux. Les hypothèses sont envisagées une à une. Le mystère demeure… De son côté, le général San Martinez (qui dirige le reste de l’armée espagnole à Iquita) s’inquiète. Où est Soledad ? Dans l’attente de cette armée fantôme, San Martinez convoque le souvenir de celui qui fut son ami le plus cher, jusqu’à ce que Maria-Elena vienne entériner la fin de leur amitié.

Le Général Solitude est le récit de ces deux existences isolées : l’un à Iquita et l’autre qui, envoûté par les feux, va finir par mettre son armée en déroute et l’entraîner dans une folle quête d’absolu, sans issue. Qui a allumé ces feux ? Personne ne le saura. Eric Faye ne tient pas à élucider les énigmes. Ce qui importe, c’est leur sens symbolique. Le général Soledad aura vu en eux un signal, un appel -un guide sur le chemin de la désertion et d’une certaine idée de la liberté.
Dans un monde où la science est supposée tout expliquer, tout maîtriser, la littérature vient, brusquement, découper dans le réel une lucarne rêvée. Elle vient rendre au monde sa part d’ombre et de mystère. Les feux d’Eric Faye sont comme l’horizon : ils s’éloignent à mesure que nous allons vers eux, mais, ce faisant, nous rapprochent de nous-mêmes. De ce que nous devons devenir. De l’énigme qui se joue en nous.