Résumer l’intrigue foisonnante de ce roman aux dimensions inhabituelles pour un premier jet (cinq cent vingt pages bien remplies, soit tout autre chose que les tarifs syndicaux en vigueur de ce côté-ci des Pyrénées) nécessiterait, pour y être à peu près fidèle, la confection d’une carte. Accoutumé sans doute par son métier (économiste dans l’industrie, il est versé dans la « planification financière ») aux réseaux de liens de causes à effets complexes et aux raisonnements à grande échelle, Eduardo Gallarza, trente ans tout juste, donne avec cet énorme Soviet des fainéants un mélange de polar et de roman d’espionnage, mâtiné par surcroît d’un peu d’aventures et d’une admirable érudition historique. C’est, assez curieusement d’ailleurs (même si l’on sait qu’il a vécu à Paris et consacré quelques heures à la lecture de grands noms de la littérature hexagonale), dans la France des années trente que l’espagnol a choisi de situer l’action de ce livre généreusement débordant ; l’occasion pour lui de peindre dans une fresque délibérément démesurée la géographie et la culture d’un pays qu’il affectionne manifestement beaucoup et les déchirures d’une époque qui semble le fasciner : celle des bruits de botte, des feuilles fascisantes et de la lente propagation de la peste brune, sinistre promesse des années noires à venir.

Une ombre pacifiste et intimidante rôde pourtant au dessus de ces cinq cents pages haletantes, sans jamais cependant y apparaître directement : celle de Nicolas Tesla (1856-1943), authentique scientifique d’origine serbe auquel l’humanité doit, tout de même, l’invention du courant alternatif et l’idée d’installer une centrale électrique sous les chutes du Niagara (laquelle alimente d’ailleurs toujours New York de nos jours). Dans ces années trente au cours desquels les nuages noirs s’accumulent au dessus de la planète, Gallarza imagine un Tesla utopiste, caressant le doux projet de mettre la science à profit pour rendre les guerres impossibles. Las : la rumeur lui parvient que quelque part en France, un mauvais génie s’emploie à oeuvrer dans le sens inverse en concevant dans la clandestinité une redoutable arme de destruction massive ; fort préoccupé, il dépêche sur place son fidèle disciple, Henri Fèvre, dont on suivra les tribulations parisiennes et marseillaises tout au long de ce roman redoutablement touffu, subtilement nourri d’une documentation jamais envahissante et volontiers relevé d’une pointe d’humour. Gallarza, avec la fougue et l’enthousiasme de la jeunesse, nous mène des lambris des ministères aux patelins les plus reculés du Sud de la France, nous fait rencontrer des poètes et des comédiens russes, passe de la politique-fiction à la réflexion scientifique et de l’aventure à l’exégèse littéraire (on lira avec intérêt les passages consacrés au roman policier) sans nous laisser souffler un instant. On s’y perd parfois, tant sont nombreux les personnages et incessants les faits, indices, événements et retournements ; il n’est pour autant pas désagréable de se laisser emporter par les flots généreux de cette fresque pleine de talent et de courir derrière ce brillant espagnol dont le moins que l’on puisse dire est qu’il devrait faire parler de lui à l’avenir.