Moi, mentir ?, c’est le titre d’une chanson interprétée par l’un des principaux personnages du dernier roman de Donald Westlake, Ray Jones, une célébrité de la country music accusée de meurtre. Moi mentir ?, vaste et alléchant programme : le mensonge et la machination vont être érigés en principes par les protagonistes d’une histoire sordide à souhait, parmi lesquels se distinguent sans mal les moins scrupuleux des journalistes people venus couvrir le procès de la vedette. Sous la plume du romancier, cynisme et machiavélisme riment superbement avec humour corrosif et auto-dérision. L’écrivain fait de la duperie, non seulement, le moteur de sa fiction – cela n’est pas sans rappeler que les grands romans, Balzac en témoigne, sont aussi faits des plus obscurs complots et des plus basses ambitions -, mais également le ressort de son écriture. Il entraîne son lecteur dans une multitude d’intrigues secondaires qui sont autant de leurres captivants afin de mieux noyer le poisson – la culpabilité réelle du chanteur – et d’entretenir brillamment le suspens jusqu’à l’extrême limite. Souvent, le simple déroulement des événements s’efface pour laisser libre cours à une indéniable souplesse d’écriture. Donald Westlake, à défaut d’être ce que l’on pourrait appeler un poète, est un remarquable technicien du romanesque.C’est en cultivant la falsification que Moi mentir ? devient une puissante satire de la société américaine. Cet univers particulier où les « gens semblent considérer qu’ils sont face à leur écran de télévision plutôt que dans la vie réelle ». De l’humour, l’auteur n’en manque pas pour décrire Branson, un patelin du Missouri devenu le nouvel Eldorado de la country music où des milliers de fans viennent applaudir leurs idoles sur le retour et profiter des multiples attractions qui leur tendent les bras. Il est possible de relever quelques morceaux d’anthologie, tel que : « – Oh, mais c’est épouvantable ! Pas de télé ? – Je sais. Ça paraît tellement anti-américain. » Ainsi, l’habile duperie romanesque de Donald Westlake se métamorphose en révélateur du grand spectacle quotidien concernant les procès à sensation en particulier et l’actualité en général, et dont les journalistes sont les véritables stars. Le meurtre dont est accusé le chanteur n’est plus que le prétexte déclenchant la grande et grotesque bagarre entre les différents tabloïds. Moi mentir ? peut être vu comme un vaste reality show en train de s’emballer et où la fiction dépasse la réalité. En quelque sorte un monde inversé, réellement subverti.
Alors, Donald Westlake un activiste politique ou un théoricien de la société spectaculaire ? Peut-être les deux. Mais il s’agit avec certitude d’un authentique créateur d’histoire qui s’applique à faire naître la fiction romanesque en un temps où elle devient de plus en plus rare.