C’est une question de musique : la littérature irlandaise se porte bien. Elle s’est toujours bien portée et comment aurait-il pu en être autrement avec des auteurs tels que Thomas McCarthy, John Mac Gahern, Roddy Doyle ou d’autres non moins virulents ? Dermot Bolger n’échappe pas à la règle. Plus connu pour son théâtre, il réussit avec La Musique du père un roman d’une grande force où les questions d’identité nationale vibrent à cœur déchiré avec les questions d’identité de la jeune Tracey.

La Musique du père est avant tout l’histoire des noces de sang entre l’Angleterre et l’Irlande, vécues à travers une bâtarde, Tracey, qui n’a jamais connu son père. Elle ignore tout ou presque de lui. Elle sait qu’il s’appelle Mac Sweeney et qu’il est l’un des derniers violonistes itinérants d’Irlande. Elle croit savoir aussi que c’est une crapule, un lâche qui l’a abandonnée quand elle était gamine. La vie de Tracey ressemble à un sursis dont elle n’aurait que faire. Ses moments de grâce n’arrivent qu’au cours de la déglutition d’ecstas, d’amphés ou de la fumette du chanvre. Dans un bar, elle rencontre Luke, un Irlandais marié, plein de mépris pour les Anglaises. Elle profite de sa liaison avec lui pour donner suite à ses velléités de retrouver son père et de lui apprendre la mort de sa femme. L’air de rien, Dermot Bolger nous plonge dans la pègre Irlandaise, et quand on se retrouve à l’enterrement du frère de Luke, on ne peut plus faire demi-tour. Il pleut. Les murs sont gris. On vient d’entrer dans une sorte de thriller métaphorique par la petite porte. Il y a du trafic dans l’air. Mais qu’ont donc tous ces insulaires ? Mis à part le climat trempé du Donegal, on se croirait en Corse !

La brutalité des dialogues est chez Bolger d’une efficacité redoutable. Son écriture a pour elle la force de la musique. « Mon amant glisse ses écouteurs sur mes oreilles puis il me pénètre. » C’est dit dès la première phrase du roman. Dès cet instant, la musique ne s’arrête plus. Elle est la musique de la vie, la musique du Père, qui commence ses premières mesures dans un hôtel minable où Tracey rencontre Luke, un homme qui précisément, en âge pourrait être son père. La Musique du père est un roman vivace d’une terrible intensité.