« Whatever loves means » : c’est, en version originale, le titre du second roman de l’un des écrivains britanniques les plus prometteurs du moment, mais ce sont avant tout trois mots prononcés par le prince Charles à l’occasion d’un entretien accordé à la télévision londonienne il y a quelques années. Tout traumatisme national qu’elle soit, David Baddiel, dont le croustillant coup d’essai nous avait laissé le meilleur souvenir, n’a pas hésité à s’emparer de la disparition de la princesse Diana pour lancer (à pleine vitesse) un livre balançant curieusement entre l’humour constant et irrésistible de ses débuts et une certaine gravité qui n’évite pas toujours les maladresses. Revenons à ce jour d’août 1997 : pendant que les écrans inondent la planète de nécrologies sucrées et projettent les inquiétantes images de la berline compressée sous un tunnel parisien, Vic s’envoie l’inconsolable Emma, la femme de son meilleur ami, Joe. Emma est irlandaise, hypersensible, et partage avec la nation tout entière une douleur dont Vic se contrefout totalement. Sur fond de deuil collectif et d’hystérie royaliste réactivée va se jouer une complexe partie de chassé-croisé sexuel et sentimental entre les partenaires de deux couples, celui que forment Emma et Joe d’une part, celui que tentent de former Vic et Tess de l’autre.

La première partie du roman, la plus réussie sans doute, exploite à l’envi ce fructueux filon en forme de carré amoureux, enrichissant une intrigue au goût de secret démultiplié par des personnages annexes parfois anecdotiques mais toujours sources de paragraphes hilarants -le portrait de la mère d’Emma, atteinte d’une maladie d’Alzheimer, ne s’oublie pas facilement. Ce n’est que dans la seconde moitié du livre que se noircit un tableau jusqu’ici plutôt plaisant : biochimiste spécialisé dans la recherche sur le Sida, Joe découvre par erreur la séropositivé de Tess. L’imbroglio relationnel et sentimental qui s’ensuivra s’achèvera dans la noirceur d’un double drame où les valeurs d’hier sont tour à tour trahies : amitié et franchise entre Vic et Joe, fidélité et sincérité au sein des paires. Il ne fait pas de doute que c’est dans ce second aspect d’un roman par ailleurs excessivement long que David Baddiel est le moins convaincant, même si, s’aventurant sur un terrain où on ne l’attendait pas, il reste capable d’un style jubilatoire et d’une réelle virtuosité dans le ballet des révélations et des situations. On reste toutefois un ton en dessous des aventures de Gabriel Jacoby, le héros insomniaque et passionné de son premier roman : les références invoquées alors (un Lodge qui s’oublierait, un émule de Nick Hornby…) restent certes valables, mais le difficile dosage entre légèreté et gravité qu’impliquait ce scénario dangereux manque de tonus. On ne Baddiel pas avec l’amour…