Claude Lucas est incontestablement l’un des rares écrivains français vivant (je souligne) dont la présence me soit essentielle. A cela plusieurs raisons : son roman autobiographique, Suerte, a résonné voici deux ans comme une onde de choc dans ma vie ; son auteur est toujours interné à la prison de Villefranche-sur-Saône, où il purge une peine de huit ans de réclusion après avoir été condamné de manière inique par une « justice » couchée devant la respectabilité sociale -ce qui ne fait que renforcer ma rage ; je relis fréquemment son œuvre, dorénavant constituée, hormis ce roman, d’une pièce de théâtre (L’Hypothèse de M. Baltimore) et de ce recueil de nouvelles.
Par la magie de son écriture, Claude Lucas fait ici se rencontrer des êtres à la violence irréductible, moins effrayé par leur propre mort que par l’absence de vraie vie qui jusque-là meublait leur existence. De ces expériences ultimes, propres à changer sensiblement le regard que l’on porte sur le monde qui nous entoure, naissent des situations où le réel se confond à l’imaginaire. Il en est ainsi du jeune Félicien, dont la destinée bascule suite à sa confrontation avec le père Tapedur, et après que celui-ci lui ait conté la disparition de son fils ; mais aussi des convives réunis pour une soirée au cours de laquelle ils inventeront chacun à leur tour une histoire qui prendra, au fil des interventions, une tournure inédite.
De ces moments où une vérité éclate au grand jour, il reste le sentiment -durable- que, par la grâce de la fiction, l’auteur de ces deux nouvelles touche à des questions aussi essentielles que celle de la nudité de l’homme. Il sait que les véritables histoires s’écrivent « en s’exposant au monde », qu’elles ne peuvent se concevoir que par un « engagement total de sa personne ». Comme on mène un combat contre une injustice flagrante, contre ceux qui justement nient la vie.

Suerte
Éditions Plon, collection Terre Humaine
L’Hypothèse de M. Baltimore
Éditions Aléas, 15 quai Lassagne – Lyon