Né en 1952 à Milton, Virginie occidentale, Breece D’J Pancake s’est planté un canon de fusil dans la bouche en 1979 et a tiré. Il avait 26 ans. Il laisse derrière lui une œuvre littéraire comprenant en tout et pour tout 12 nouvelles, et une légende entretenue depuis par quelques admirateurs du calibre de Kurt Vonnegut. Sa maîtrise d’anglais obtenue, Pancake devient enseignant à la faculté de Virginie en 1974. C’est alors qu’il commence à cultiver une image complètement à l’opposé de son vécu : celle d’un pauvre garçon des Appalaches sorti de la misère à force de travail. Il joue si bien son rôle que même certains de ses amis les plus proches croient qu’il est vrai, alors qu’il n’en est rien. C’est dans cette figure que Pancake semble se retrouver, et ses nouvelles assurent sa pérennité à ce fantasme, comme s’il trouvait là une forme de vérité, une aisance née d’un rejet en bloc de tout ce qu’on peut assimiler d’ordinaire à la bourgeoisie des villes du Sud. Cet univers donne sa matière aux nouvelles qu’il commence à publier dans The Atlantic, en 1977 ; six seulement paraîtront de son vivant, les autres seront publiées après sa mort. Au coeur des textes, on trouve les Appalaches, montagnes qui le fascinaient, les villages autour des mines, un récit obsessionnel de la difficulté à vivre ; dans une langue empreinte d’une immense poésie, Pancake verse un flot de sentiments où se mêlent les heures sombres de vies étroites aspirant à une liberté impossible, une profonde douleur et le poids de la fatalité. Et toujours cette mélodie, traçant un chemin au milieu des bois et de cette terre usée, dans des villages ouvriers embrumés, derrière des façades miteuses masquant des misères parfois insoutenables, obsédantes jusqu’à la folie.

Les thèmes se répondent comme une litanie. Au pied des Appalaches, un nouveau monde se met en place. Dans ces villes des tréfonds les plus reculés de Virginie, les hommes n’ont parfois avec la civilisation qu’un lien ténu, l’alcool apportant sa part d’illusoire réconfort ; les baraquements ouvriers ferment leurs portes, la force brute devient la seule monnaie d’échange, les jalousies, haines et rancunes sont tenaces, l’espoir d’un nouvel horizon ne s’ébauche même plus. La seule occupation reste les parties de chasse, passeport pour l’âge adulte, sauf-conduit dans un monde hostile. Partir chasser le renard, l’écureuil, le gibier, lâcher les chiens : c’est le moment de solitude de l’homme face à lui-même, rare instant de calme arraché au quotidien. Pancake accompagne ses personnages sur le fil de cette existence qui leur échappe ; les nouvelles forment un canevas, bribes de vie qui interrogent le monde. Pourquoi rester quand il y aurait tant à faire ailleurs ? Pourquoi partir ? Quel honneur dans la guerre, quelle morale à tuer, quel honneur à rester ? Au fur et à mesure de l’avancée dans le texte, Pancake fait surgir des visages difficiles à oublier. Elliptiques, allusives, les bribes de souvenirs s’entrechoquent, formant une mélodie lancinante. Le chant d’un pays qu’on voit peu à peu s’enfoncer dans le brouillard.