Les paradis artificiels du multimédia prennent place dans nos vies. Une réalité virtuelle qui entre avec de plus en plus de force dans l’espace réel. Règne illusoire de la navigation sans fin. Nous vivons de nouvelles mythologies. Elles séduisent beaucoup et promettent tout autant. De plus, elles semblent moins nocives que les drogues, et restent moins chères que l’alcool. Seul hic, cette réalité virtuelle change l’existence en rêve éveillé. Mais qui s’en soucie ? Certainement pas les idéologues, ni les politiques qui ont l’impression de pouvoir tout gérer en « temps réel » (« le contraire exactement de l’expérience littéraire » -les faits et les choses ont besoin de lenteur et de patience pour être pensés), pauvres tartufes baignant dans leur sphère de libertés formelles. Mais sûrement Bertrand Leclair, qui signe avec L’Industrie de la consolation un exigeant essai sur la question (quoi qu’en pense M. Marcelle, gentil causeur du jeudi pour qui tout est suspect, surtout lorsqu’il s’agit de rehausser l’individu).
Lutter contre l’obscurité et le froid, voilà où l’angoisse, la rage, mais aussi la tendresse pour un monde qui prend fin (en résumé, une civilisation nous tombe sur la gueule et personne ne bouge) se rejoignent chez l’auteur. Face à cette triple et miséreuse alliance (Politique-Economique-Cybernétique), la résistance s’organise. En lecteur de Deleuze, Bertrand Leclair a appris qu’on ne pouvait pas séparer la pensée du style. Voilà un moyen plus efficace qu’une énième réfutation théorique d’attaquer le new age (répétons-le, il s’agit ici de stigmatiser les mythologies modernes, pas de condamner l’outil -en un mot : Internet). Soit le style comme ultime rempart contre l’hégémonie de la bêtise véhiculée (pseudo dynamisme et culte de la performance). Car le souci de la littérature (« la séparation est le prix de l’Universel » ; ce n’est pas faux) prime chez l’auteur. Arrivé à ce stade de la critique, il semble inutile de préciser de quel côté nous nous trouvons. Deleuze parlait de « bouger sur place ». Ce bréviaire à portée de main, au cas où nous oublions à quel temps nous appartenons.