Nouveau nom dans la collection « Terres d’Amérique », Benjamin Percy a tout du jeune prodige. A 28 ans, ses nouvelles lui ont valu d’être récompensé par plusieurs prix outre-Atlantique ; la nouvelle qui donne son titre au recueil, Sous la bannière étoilée, publiée dans l’anthologie Best American short stories, sera adaptée au cinéma. Pour le coup, le sujet est porteur : sur les hauts plateaux de l’Oregon, au pied d’une base militaire, des fils attendent le retour de leurs pères partis pour l’Irak, leur vie rythmée par le passage des officiels militaires souvent porteurs de mauvaises nouvelles, par les mails qu’ils reçoivent, jamais très régulièrement, qui disent que tout va, et par l’attente de devenir un homme, bientôt, de s’engager, bientôt, de partir, bientôt. La violence du conflit lointain, stéréotypé, idéalisé, rejoint celle du quotidien, celle de la nature alentour aussi. Rounds de boxe entre deux ados, virées nocturnes en moto au cœur des canyons, cratère gigantesque de météorite : tout ici souligne les angoisses, les terreurs masquées par la colère de gamins trop vite grandis.

La brutalité des textes de Benjamin Percy répond à celle du quotidien. Ses personnages sont comme coincés là, sans autre choix que d’exister « plus » pour trouver leur place, répondre à une urgence de vivre. Dans ses récits, on part chasser enfant, on parle peu, souvent on travaille dur, sans trop penser. Les textes s’enchaînent les uns aux autres, explorant des univers à la fois familiers et étranges, différents, hostiles, silencieux. Dans « Les Grottes », pour le couple installé dans une maison construite sur au-dessus d’un « vaste tunnel qui charriait jadis un magma de roches ayant la couleur d’un soleil furieux », tout allait bien. Becca était enceinte. Jusqu’au soir où derrière la porte ouvrant sur le vide sombre des profondeurs, un grattement s’est fait entendre. Kevin a ouvert. Les chauves-souris sont entrées. Puis Becca a fait une fausse couche. Et alors, tout a changé. La grotte qui les attirait tant, qu’ils allaient explorer le week-end, est transformée en malédiction ; il est resté un monde à réapprendre, pour pouvoir revivre, se comprendre de nouveau.

La compréhension est un thème central du recueil. Dans « Les Bois », un père et son fils qui depuis longtemps ne se parlent plus partent chasser, dans une tentative de « renouer le dialogue ». Citadin d’adoption, le fils est à mille lieues de ce père qui lui explique que dresser un chien, c’est comme éduquer un enfant. Dans les bois, il réalise qu’il n’a pas sa place, avec son équipement dernier cri, quand son père s’y coule comme s’il retrouvait son élément naturel. Puis le chien disparait, des traces étranges apparaissent sur le sol, et il faut partir. Avant cela, l’espace d’un instant, père et fils pour une fois se comprendront, sans parler. Les liens du sang sont forts, même s’ils ouvrent sur des fossés d’incompréhension. Une nouvelle d’ailleurs porte ce titre, et mêle innocence de l’enfance, dureté de l’âge adulte, amour d’un père pour sa fille. On pourrait tout raconter, ces histoires simples, ces douleurs muettes. « Fusion » joue à l’anticipation après qu’une catastrophe a laissé une zone immense dévastée, et Darren Towsend, incapable de vivre avec les autres depuis son retour de la guerre, y circule seul ou presque sur sa Harley. Jusqu’à ce que. Car il y a toujours ce moment chez Percy qui permet le retour, ou qui sanctionne irrémédiablement la perte.

S’il fallait définir les personnages de ces nouvelles, ont pourrait dire sans doute qu’ils sont perdus, en panne de repères, d’envie de vivre, laissés pour compte, prisonniers de leurs mirages. L’Amérique ne tourne pas rond, décidément, même si la crise n’est pas encore passée par là. Alors on boit, on s’enferme, on chasse, on part avec son chien. Les White Trash ont la part belle ici, mais les plus aisés, les plus cultivés, n’ont finalement souvent pas grand-chose à leur envier. Seuls les registres diffèrent, mais pour des résultats similaires. Alors, Percy s’approche d’un point de rupture au-delà duquel tout – ou plus rien – serait possible. Pas plus de vainqueur que de héros dans ces textes ; juste des gueules cassées qui tentent de survivre.