Mademoiselle Fujimori, explique son éditeur, a ceci de remarquable qu’elle écrit en français ; et il faut bien reconnaître en effet qu’elle manie la langue de façon assez remarquable, voire franchement déroutante lorsqu’on l’imagine native de l’ancien Empire du Soleil Levant… Erreur : elle est en fait née en Suisse, où elle a passé toute sa jeunesse avant de poursuivre ses études à Paris. Ce n’est que récemment qu’elle est retournée au Japon. L’exploit ainsi ramené à mesure humaine, il n’en reste pas moins qu’avec ce second roman, Fujimori affirme un caractère bien trempé et une jubilation dans l’écriture qui donne tout à son texte : de l’originalité, du dynamisme, du rythme. Presque rien ne manque pour une immersion dans un récit qui, cette fois encore, risque de ne pas lui concilier les faveurs de tous les critiques. Hurlera-t-on au scandale, comme ce fut le cas lors de la publication de Nekotopia, son premier livre ? Tout commence à Tokyo, en cette vingt-troisième année de l’ère Meiji, le jour de la difficile naissance d’un gamin de 2750 grammes, fils d’un fabriquant de sabres et de sa jeune épouse, le père et la mère Soga. Les personnages sont à peine posés que la fin est annoncée : « Elle ne se doutait pas un seul instant qu’elle venait de mettre au monde l’une des futures victimes d’Hiroshima. La pauvre femme n’est cependant pas à blâmer ; elle ignorait tout autant qu’elle avait épousé une des futures victimes de Port Arthur ». L’histoire suit alors son cours, la petite famille s’installe, et le récit se trouve brutalement interrompu par l’assassinat de l’empereur Hatsube, quelque part aux alentours de l’an 500. A partir de là, on balance sans cesse entre ces deux périodes, d’un chapitre à l’autre : quand le jeune Hitoshi Soga grandit, lui, l’enfant sans amis au père mort en héros à Port Arthur, c’est à cette lointaine époque qu’il se rattache sans cesse. Lui-même n’est est il pas un ? Son grand père, alcoolique notoire disparu, l’affirmait en tous cas…

L’adolescent surdoué devient adulte, s’installe, épouse une riche héritière : le monstre grandit. Car c’est bien la vie d’un monstre que nous raconte Fujimori, celle d’une créature froide et lucide, obsédée par la vengeance, invisible mais tissant sa toile, sans jamais rien laisser paraître, insoupçonnable et schizophrène. Tout tourne autour des thèmes de la vanité, de l’incompréhension ; on survole la solitude du savant fou, on contemple l’exploitation stupide de talents atrophiés, dénaturés, finalement inexistants. Jusqu’aux limites abolies d’une humanité disparue, qui s’affiche en une interminable litanie de noms et de dates, morts prématurées qui n’auraient pas dû advenir. Fujimori écrit « sale », dit-elle ; elle trouve son inspiration, c’est triste à dire, dans ce qui l’entoure, dans ce qu’elle lit dans la presse. Et il y a fort à parier qu’elle pourra à l’avenir y puiser toujours plus. Dommage que son écriture ne finisse, au fil des 400 pages de Mikrokosmos, par sembler redondante : il est rare qu’on y trouve des nuances, alors qu’on cherche parfois un cynisme et une drôlerie un peu moins appuyés, un peu plus naturels. Cela dit, de nombreuses pages restent étonnamment drôles et mordantes. A découvrir.