Byatt a une curieuse façon de dépeindre le monde. Que ce soit dans ses romans ou, comme ici, dans des nouvelles, elle manie toujours la langue avec une précision quasi chirurgicale : chaque mot est pesé, les phrases ciselées, rien n’est laissé au hasard. Comme le dit Cicely Fox (personnage d’un atelier d’écriture) dans Le Matériau brut, « j’écris parce que j’aime les mots ». Et on veut bien croire que Byatt les aime, ces mots, au point d’en faire, dans ces Petits contes noirs, une arme redoutable véhiculant frissons, sourires et nostalgie. Le recueil est court : cinq histoires seulement pour réinventer des légendes, contes de fées grinçants, façon Frères Grimm revisités. Car il ne faut pas l’oublier : on n’écrit pas les contes pour les enfants. C’est ce qu’on constate en découvrant cet univers avec ses créatures étranges et ses ambiances à mi-chemin entre réel et fantastique.

Le premier texte, La Chose dans la forêt, s’enracine dans les mythes de l’enfance. Cette fable commence par l’abandon de deux fillettes. Pour nous sortir du monde des adultes, Byatt utilise l’un de ces convois d’enfants envoyés hors de Londres pendant la guerre, en transit le temps d’une nuit dans un manoir mystérieux, à l’orée d’une forêt silencieuse. Là, Penny et Primrose, apprenties exploratrices, vont voir « la Chose », monstruosité née des bois, dragon, serpent, agglomérat de matériaux fétides, symbole de désespoir et de destruction. L’atmosphère que pose Byatt, faite de souvenirs et de peurs primaires, ne revient vraiment que dans un des quatre autres : La Femme de pierre, histoire d’une femme qui se transforme en pierre et, pour tenter de comprendre les changements qui s’opèrent en elle, choisit un dernier grand voyage en compagnie d’un sculpteur islandais, vers son île, ses légendes, sa nature minérale. Pour y trouver, peut-être une forme de paix.

Les trois autres nouvelles sont davantage en prise avec notre monde. Dans Le Matériau brut, Byatt se penche sur l’écriture : une prof et son atelier d’écriture, l’angoisse de la page blanche, l’horreur des participants avec leurs egos surdimensionnés et leurs mesquineries ; et au milieu de tout ça, Cicely, conteuse de souvenirs enfouis à l’écriture limpide, qui redonne le goût de créer à un homme en bout de course. Le dénouement, ici, intervient comme un couperet. C’est aussi le cas, dans une moindre mesure, avec Art corporel, récit qui évoque les hôpitaux, les mutilations volontaires, physiques comme psychiques, s’attardant sur les malaises de ceux qui ne savent plus vers quoi se tourner pour donner un sens à ce qu’ils font, à ce qu’ils vivent. C’est l’idée de la perte de l’autre qui prédomine, et qu’on retrouve dans la dernière nouvelle, Le Ruban rose, qui s’attaque à la vieillesse et à son cortège de vicissitudes.

On sort de ces textes convaincu qu’il y a bien une ombre noire qui nous entoure, une ombre d’autant plus présente que Byatt, par son style, la pose à portée de nos mains. Ultra précise, elle confère une atmosphère claustrophobique à ses nouvelles. Comme pour nous forcer à aller plus loin, plus bas, là où les choses sont encore plus noires.