Le héros de cette curieuse excursion à travers la Finlande est un conseiller-géomètre, d’âge mûr, incapable de mettre un nom et une adresse sur le visage que lui reflète un miroir. Aussi déboussolé que le livre qui raconte ses tribulations. Un beau matin qu’il troublait la circulation en nouant avec difficulté sa cravate sur la chaussée d’une avenue fréquentée, avec un paquet de billets dans la poche sans qu’il sache au juste d’où il les a tirés, il est pris en charge par un taxi complaisant qui l’emmène en vadrouille au hasard à travers le pays. Ce dernier se prendra d’amitié pour ce vieillard impulsif et, se payant sur son pactole inépuisable, l’accompagne dans son voyage sans fin, passant du rôle de chauffeur à celui d’assistant social et enfin d’ami.
Inutile d’essayer de résumer cet incroyable road-movie nordique qui s’étend sur plusieurs centaines de kilomètres et environ 200 pages. On y rencontrera l’insolite sous ses formes les plus inattendues, entre une orgie d’oignons crus au fond d’un char d’assaut, une chasse au taureau sauvage avec un architecte albanais et son interprète bosniaque, la fabrication artisanale de saucisson, une douzaine de végétariennes française en camp de survie volontaire et le labourage à la TNT du domaine agricole et forestier d’un ancien combattant (authentique). A ce tableau farfelu, Paasalina, en grande forme, n’a pourtant rien ajouté qui ne puisse finalement s’avérer plausible : pour composer cette œuvre épatante, il n’a puisé que dans la réalité, l’étirant et la torturant au besoin jusqu’à ses limites, exacerbant ce qu’elle peut offrir de plus absurde et extraordinaire. En fait, on est presque hésitant quant au sens (si l’on peut dire) à donner à ces lignes hilarantes, sans doute parce qu’on ignore à quel degré les apprécier. D’un côté, on se sent invité à jubiler simplement devant les travers de nos contemporains et à observer silencieusement cette comédie de mœurs incessante qui chaque jour s’offre à nos yeux ; d’un autre, on soupçonne, sous les atours d’un humour qui ne veut pas dire son nom, un certain désespoir, un penchant systématique pour la destruction (voir ces 30 pages où l’auteur nous conte avec une indifférence clinique le dynamitage méthodique d’un complexe agricole par ses propriétaires), le renoncement (les végétariennes reconverties) et l’oubli (le héros géomètre). Pour nous faire entrevoir son secret noir, Paasalina a choisi un moyen paradoxal : nous en faire voir de toutes les couleurs.
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