Les Semaines Buissonnières font les années grasses du quotidien L’Equipe. Qui l’eut crû ? Le journal L’Equipe s’est quelques fois apparenté aux Nouvelles littéraires ou au Journal de Tarzan. Cette curieuse mais honorifique filiation connut ses jours de gloire dans les années 1954 à 1958 grâce à la rubrique La Semaine buissonnière que tint chaque mardi l’écrivain Antoine Blondin. Ces années, à marquer de lettres d’or dans l’histoire de la presse sportive, permettront à l’écrivain d’écrire des pages véritablement émouvantes, qui comptent parmi les plus abouties de sa prose. Il s’exerça au verbe comme d’autres sautent à la perche, dans le sens du vertical. Blondin insuffla à sa chronique une âme littéraire qui ne trompa personne, au service du stade, et dont le style fit mouche à chaque envoi.

Pour un journal, prêter ses colonnes à la plume d’un écrivain présente un intérêt majeur. C’est prendre le risque d’ajouter à l’information la dimension autrement plus passionnante de la dramatisation. Si le journaliste se l’interdit en se pliant à son devoir d’objectivité (et en sport son travail se résumerait quasiment à l’établissement de nouveaux scores), l’écrivain, lui, jouit de cette liberté de conjuguer allègrement les faits avec le cœur. Blondin pousse la balle toujours plus loin. Qui a tenu mieux que lui, avec plus d’audace et d’engagement, avec autant de maturité, des positions aussi infantiles ? Un personnage de Gombrowicz ? Un singe en hiver ? Dans la presse sportive, le journal L’auto, ancêtre de L’Equipe, ouvrait déjà ses colonnes aux écrivains. Même si en invitant Antoine Blondin, L’Equipe ne faisait que renouer avec une vieille tradition, c’était prendre le risque de rompre avec une certaine orthodoxie. Ayant une semaine entière pour méditer son papier, Blondin suscita craintes et jalousie avant d’imprimer un souffle nouveau à un genre sclérosé.

Il pousse la balle toujours plus loin, disions-nous, si bien qu’à la fin elle sort en touche. La plume blondinienne est précisément à l’image de ce ballon qui échappe au coup de sifflet de l’arbitre. Elle quitte les marquages au sol. Elle roule aux alentours, derrière les gradins, dans les flaques, sur les trottoirs, entre les pattes de l’humanité. Blondin est trop libre pour se laisser imposer une discipline éditoriale. Il choisit lui-même l’actualité qu’il commente et ses choix montrent qu’il n’est pas nécessairement là où le public s’est rué. Bien au contraire, l’écrivain prend un malin plaisir à raconter une petite rencontre sous la pluie, dans le Finistère qui opposait des inconnus à des inconnus. On pense aux matchs de Don Camillo. Blondin a le style épique. Il promène sa plume comme une rampe d’éclairage sur des coins de scène méconnus. Contre la facilité, vers la surprise, il fait aimer le sport parce qu’il le rend intelligent. C’est la prouesse de l’écrivain : il ne considère jamais un fait sans voir aussi ce qui l’entoure. Les pieds sur le gazon, la tête dans les nuages. C’est de l’Olympisme.

Novateur dans la presse sportive, Blondin marqua fortement les jeunes journalistes qui commençaient à fourbir leurs armes. Il généralisa l’utilisation du calembour et du jeu de mots dans ses titres, procédé encore inusité à L’Equipe mais qui, depuis, s’y utilise à tort et à travers. N’y a-t-on pas lu récemment, à la suite de la navrante défaite de Mauresmo, ce calembour grotesque dont je ne citerai pas l’auteur, Dereix sous la dictée de son Pit-Bull ? « On espérait une belle belle. On a eu une belle laide. » De Garros, on était passé à Gravos et de la tribune, on entendait hurler « A poil ! A poil ! Lâche ta raquette ! Lèche-lui la moule ! » Las, Dereix n’était pas raide, son tennis n’a pas joui du troisième set.

S’il fallait établir une nouvelle distinction entre le simple journaliste et l’écrivain que fut Blondin dans L’Equipe, je paraphraserai Quentin dans Un Singe en hiver : il y en a autant qu’entre « un prince de la cuite et un bois sans soif ». Et quand il dit « vous avez le verre petit… Au fond, vous ne méritez pas de boire… », j’entends moi, cette invective à Dereix : « Vous avez le verbe petit… Au fond, vous ne méritez pas de voir ».