Si vous aviez l’habitude de faire des fiches sur les personnages en lisant Dostoïevski, avec Constellations, vous pouvez carrément prévoir le classeur ! Il vous faudra aussi acquérir quelques notions d’histoire de la Pologne et acheter une anthologie des poètes slaves car, sans repères, vous passerez forcément à côté de ce roman. Juliusz Slowacki, Julian Tuwim, Bruno Jasienski, ça vous dit quelque chose ? Et le président de l’Ukraine en 1918, vous le connaissez ? Et le nom de la monnaie austro-hongroise ? Et Casimir III le Grand ? Et l’affluent du Dniestr ? On apprend tout cela dans Constellations. Voilà pour le contexte. Quant à l’histoire, les choses ne se simplifient guère.

Il s’agit du récit croisé de trois hommes séparés par la guerre qui tentent de ressusciter, par leurs paroles, une Galicie anéantie par les conflits et découpages géographiques arbitraires. Jusque-là tout va bien, si ce n’est que cette « résurrection » engendre une somme de références qui n’évoquent pas grand-chose aux pauvres Européens de l’Ouest que nous sommes. Ajoutons à cela une narration plutôt opaque -succession farfelue de métaphores, d’envolées lyriques et de style docte ou plat- et un roman aux thèmes des plus épars : il n’y a qu’un pas de l’angélologie à l’astrologie, du Talmud à la Bible, des ancêtres de tel anonyme aristocrate à l’histoire politique globale. Pour finir, les titres de chapitres ne nous avancent pas davantage : « Bénarès », « Les poissons, ou la sortie de la tente », « La rhétorique », « Le taureau et la bayadère », « Le grand convoi-saleté de Bittra », etc.

A ce stade, même le mot « baroque », en général utilisé pour classer les inclassables, n’y suffit plus. Il y manque la fantaisie, le goût de la langue, la légèreté propre au genre. Car Constellations s’avère un roman très sérieux et très ambitieux. Andrzej Kusniewicz, en racontant la Pologne d’autrefois, entend témoigner de son métissage, des traditions des différentes communautés (juives, ukrainiennes, tziganes, arméniennes) de son pays. Or, rendre compte de ce melting-pot ne semble envisageable à ses yeux que par le biais d’une facture romanesque elle-même métissée. Indigeste, ce roman n’en a pas moins le mérite de sa singularité.