Key West : l’une des plus fameuses de ces îles de Floride où certains quinquagénaires amerloques, comme les oiseaux, vont passer leurs hivers. C’est ce que font pour la première fois Wilkie et Jenny Walker : il est naturaliste, auteur à succès de best-sellers écologistes (une sorte de Cousteau anglo-saxon) ; elle, de vingt ans sa cadette (la quarantaine encore séduisante), l’assiste amoureusement dans ses travaux. C’est parce que Wilkie broie du noir depuis quelque temps que Jenny le persuade d’aller passer une saison dans la douceur tropicale d’une résidence de location insulaire. Là, pendant qu’il échouera à plusieurs reprises dans ses stoïques tentatives de suicide déguisés en accidents (il est convaincu de souffrir d’un cancer du côlon qui le condamne, quoi qu’il arrive, à une mort atroce à plus ou moins court terme), Jenny s’implique activement dans la vie locale en compagnie d’une voisine, Lee, ex-psychanalyste lesbienne reconvertie dans l’hôtellerie sélective (elle n’accueille que des femmes), à l’égard de laquelle elle se découvrira d’ailleurs rapidement des penchants sentimentaux -la question de l’homosexualité envisagée par ces caricatures de bourgeois rationalistes donne lieu à deux ou trois épisodes du plus haut comique. Les relations inattendues qui se nouent entre ces trois personnages se complexifient avec les entrées en scène de Barbie, une pimbêche idiote qui soigne sa dérive conjugale par le combat pour la protection des lamantins, Jacko, le jardinier séropositif de la résidence du couple Walker…

Ce onzième roman d’Alison Lurie (le précédent avait été publié une décennie plus tôt), joyeuse sitcom exotique, légère comme du Rohmer, est bien évidemment captivant : si sa philosophie générale, d’ailleurs malaisée à extraire, reste douteuse (bonheur naturel contre stress urbain), on s’y amuse comme rarement, tout en y discernant éventuellement une piquante et satirique dissertation sur le progressisme féministe (l’hôtelière convertie, Lee) et le conservatisme bourgeois (le notable Wilkie) se disputant une femme hésitante (la désirable Jenny). Mais l’intérêt du roman est sans doute ailleurs : nous passionner pour la réponse à une question du genre « Lee et Jenny vont-elles enfin… », c’est peut-être le plus grand talent d’Alison Lurie.