Au milieu des années quatre-vingts, Arturo Pereda revient à Lima. Installé et marié en Allemagne, il est maintenant photographe, après avoir essayé divers métiers, dont celui de gourou et de professeur de yoga. C’est le projet d’un reportage sur son pays qui lui donne l’occasion de ce retour. Mais à peine arrivé, il est immédiatement confronté à son passé de jeune militant guévariste et retrouve ses anciens compagnons. Il a en effet partagé avec certains d’entre eux l’expérience de la prison et de la terreur. Mais ils sont surtout liés par un souvenir particulièrement traumatisant : l’exécution du traître, un soir, sur une plage. Cette exécution n’a d’ailleurs pas évité à ces hommes la prison, la folie ou la mort. Aussi, le retour d’Arturo le conduit-il à replonger dans son passé, entre évocations et confrontations douloureuses avec les compagnons -amis et amours- de sa jeunesse. Un ancien militant, toujours impliqué dans des actions politiques, lui laissant de plus entendre que le traître n’était peut-être pas celui que l’on croyait…

On est d’emblée frappé par le chaos et la violence dans lequel se retrouve le personnage principal. Ce que l’auteur communique avec beaucoup d’habileté, par petites touches lentes tout au long de la première partie, comme un poème en prose, c’est que Lima en est responsable. La ville, folle, violente, poétique, véritable personnage à part entière. Lima échappe aux définitions, et Arturo y perd rapidement ses repères. Elle a changé (une violence accrue), mais il ne réussit même pas à photographier ces changements. Il ne peut que se laisser porter par le flot et capter des images incomplètes. Arturo recommence à boire dès son arrivée, il s’intéresse à nouveau à la politique, malgré ses résolutions de ne plus y toucher qui l’ont accompagné pendant ses années d’exil. Ses repères construits en Europe rompent comme des digues inutiles.

Les deux dernières parties du Chasseur absent sont moins originales. Certes le style demeure flamboyant et souvent poétique. Mais le photographe nous convainc moins lorsqu’il devient acteur à part entière et n’est plus l’observateur dépassé par la violence. Le rythme de l’intrigue s’accélère, mais certaines explications étaient-elles vraiment nécessaires ? Le photographe est un éternel exilé et ce retour à Lima va lui en révéler l’évidence, de même qu’il lui rendra impossible tout retour en Allemagne et à une vie « aseptisée ». Tout cela était déjà contenu dans la première partie et certains chapitres sont trop explicatifs. Le théâtre de l’action quitte Lima pour une enquête internationale. Certes le suspens existe. Mais c’est à regret qu’on revient à des descriptions de lieux et de gens plus rationnels, plus volontaristes, assortis à l’homme d’action que devient notre photographe. Les femmes (Paula, sa dernière rencontre) ont beau avoir le charme de Mata-Hari, ce ne sont plus des inspiratrices. Bref, le poète de l’enchantement vénéneux de la première partie, qui contient déjà toutes les questions essentielles, finit par nous manquer. Est-il réellement nécessaire, et même possible de donner les réponses ? Trop démonstratrice et trop prévisible, la seconde moitié du roman déçoit, sauf peut-être la lecture de La Chronique du Palermo, pages écrites par un des anciens militants devenus fous. Dans ces carnets, à nouveau, nous voyons Lima.