Texte subtil et chargé de bonnes choses. On le dit entre roman et nouvelle. On hésite à le cantonner dans un des deux genres, même s’il est vrai que l’auteur, lui, se déclare plutôt comme un écrivain « du court ». En fait, s’il fallait définitivement lui coller une étiquette, celle de « poète » collerait mieux. Car Waberi le djiboutien aime les mots. Dans toute leur complexité relative. Il aime à jouer avec. Les aligne avec bonheur. Leur taille des mélodies, sournoises ou non, mais sur mesure… leur insuffle de la sensualité, vorace ou pas, mais qui dérange. Au besoin, il part puiser dans le monde ouvert de l’oralité (fables/proverbes) ou dans l’univers éclaté de ces pairs (référence à Tchicaya U’Tam’si et Frankétienne notamment).

Waberi est grave à souhait mais n’en abuse point. Lorsqu’il raconte l’espoir encerclé au pays des « brouteurs » de khat, il sait mesurer ses mots pour ne pas trop en mettre, tout en les dressant de manière à éviter au lecteur la regrettable confusion qui règne entre le bout de terre malheureuse qui lui sert de pays et l’exotisme promu par les vendeurs d’histoires à touriste. Dans Balbala, l’intrigue est politique. Elle met quatre personnages en butte contre l’Etat en scène. Quatre voix qui se croisent au nom de l’amitié et qui s’enroulent au rythme d’une polyphonie nomade en route vers le désert. Waïs, le premier personnage, croupit en prison. Le second, Dilleyta, s’en va prendre le maquis. Les deux autres, Anab et Dr Yonis son mari, enfoncent lourdement leurs désirs d’un monde meilleur dans la misère d’un bidonville accroupi de la capitale djiboutienne. Tous les quatre sont accusés de subversion active (de « sédition » pour être exact). Tous les quatre sont alignés dos au mur. Par une société où seul le « petit peuple de requins, de Judas à la petite semaine, de patriarches bedonnants et véreux » règne en maître au service de son excellence et de son gouvernement.

Balbala, lié aux événements (une guerre civile) qu’a connu son pays entre 91 et 93, apporte la dernière pièce manquante à sa fameuse trilogie (Pays sans ombres et Cahier nomade). Waberi sait émouvoir sans forcer. Et toujours avec un humour peu soumis au quotidien. Il sait se faire poète habile… Même lorsqu’il fend d’une façon légèrement assassine le mythe du poète maudit (Rimbaud) sur cette terre djiboutienne: « Il paraît, feint-il d’écrire à l’auteur d’Une saison en enfer, que tu voulais te faire des couilles en or en Afrique. Tu es parti démuni, délirant et mourant. Voilà une fort curieuse manière de prendre congé de cette péninsule dont le nom couvre aujourd’hui toute la disette de la planète ». Le jeune-vieux poète, comme il le surnomme, est mort recyclé par les marchands de ce siècle. Tout comme l’espoir… qui a fui ce « pays chaviré » et cette péninsule (la Corne de l’Afrique) « où les territoires de la douleur sont légion ». Né en 65 dans cette région torturée par le temps et l’histoire, installé à Caen depuis 85, Waberi, aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs espoirs de sa génération, a toujours su lier l’universalité de son discours à une sorte d’ancrage géographique qui rend ses récits encore plus beaux et plus vrais. A lire absolument.