Brumes poisseuses du Missouri, image exsangue et granuleuse, teinte cendre des mobile-homes et country dépressive au banjo en fond sonore. Dès les premières images, le cliché plombant de l’exotisme Sundance se pose sans complexe. Le pitch est tout aussi alarmant : une ado, dont le père est en prison pour trafic de drogues, doit élever seule ses frères et sœurs et s’occuper de sa mère handicapée. Lorsqu’elle apprend que son père a hypothéqué leur maison pour payer sa caution avant de disparaître dans la nature, la jeune femme mène sa propre enquête en interrogeant les dealers du coin. D’emblée, Debra Granik pointe l’actualité comme grande coupable de cette jeunesse abandonnée par ses pères : tout ça, finalement, c’est le résultat de la crise économique mondiale et ses répercussions sur le sacro-saint foyer yankee. Devant un tel postulat, il y avait de quoi redouter l’élégie de trop.

Mais, heureuse surprise, Winter’s bone est de ces films qui savent trouver un second souffle, dès qu’ils abandonnent leurs tocs de bêtes à concours. S’il traite de l’adolescence traumatique, le film abandonne vite le portrait générationnel pour lui préférer la voie d’une enquête-Cluedo en milieu narcotrafiquant. Plus paradoxal : le film s’affranchit même de son background social. Si cette fameuse crise plane effectivement comme une atmosphère viciée, la cinéaste s’épargne heureusement toute tentation documentarisante à l’emporte-pièce sur le milieu redneck, son bayou et son défilé de trognes post-Delivrance (à l’inverse d’une aberration comme White lightnin’).

Schizophrène, le film l’est sûrement. Il peut d’ailleurs rebuter par cette manie de funambule à trouver lentement son équilibre entre maniérisme indie et ampleur romanesque. Une fois délestée de sa coquetterie néoréaliste, cette vision de l’americana profonde bascule vers une dimension onirique plus appropriée. L’absence du père fantôme (la meilleure idée du film), sert finalement de McGuffin pour emprunter la voie d’un vrai classicisme hollywoodien. Difficile, au final, de ne pas rapprocher le film d’un pur polar (pour sa galerie de personnages secondaires, tous excellents), voire même du western fordien, devant cette obstination aveugle de l’héroïne à mener son enquête jusqu’au déchirement identitaire.

N’allons pas trop vite en besogne : Winter’s bone n’est pas beaucoup plus, au bout du compte, qu’une honorable fiction référencée. Mais quand il préfère contempler son héroïne comme une icône de celluloïd (très belle découverte de Jennifer Lawrence) plutôt qu’un échantillon de plus de la jeunesse white trash, Winter’s bone révèle une indéniable grâce.