Corps excentrés mais repliés les uns sur les autres, individus en rupture : tel est le trio de fantômes franciliens qui habite le troisième long métrage de Sébastien Lifshitz, après Presque rien et La Traversée. Soit Stéphanie, une prostituée transsexuelle, Djamel, un jeune beur hantant parfois les toilettes des gares, Mikhail, un clandestin russe ne parlant pas français. A eux, le film offre toute la place et tout le temps qu’ils désirent, qu’ils désireraient si le cinéma était la réelle garantie de visibilité aux personnages les plus emblématiques de l’exclusion -pour ne pas dire aux clichés de l’exclusion. Eux, filmés avec recueillement. Recueillement, en son double sens. Recueillement de fragments de vie, jetés dans une narration vagabonde -allers-retours dans l’espace, dans le temps, entre les membres de la petite famille. Recueillement aussi et surtout au sens d’une espèce de solennité hiératique, effort pour saisir le halo sacré qui entoure ces compagnons d’infortune, effort pour emmener et maintenir tout (spectateur compris) vers le silence.

Là-bas, dans le nord, la mère de Stéphanie meurt. La province, filmée dans son épaisse étrangeté (rues désertes, champs labourés, couleurs sèches et contrastées) sert de contrepoint au gris Paris, mais il s’y joue la même danse de la marginalité : entre Mikhail et la mère, paroles échangées sans se comprendre ; entre Stéphanie et sa mère, dialogue fatigué, ressassé, qui dit autant une secrète complicité que la pesanteur d’une communication douloureuse. Wild side, côté qui fascine Lifshitz et nombre de jeunes cinéastes français. C’est dire s’il est difficile de recevoir son film autrement qu’en le subsumant à la catégorie des films symptômes. Symptôme de quoi ? D’abord des impasses de ce cinéma emprunté, chic, qui ne refuse rien à ses désirs, les confond avec ce qu’il filme, en un mouvement amoureux mais stérile tant rien n’est soumis à rien, ni question ni réflexion. De peur d’obstruer la relation aux personnages et aux récits comme vecteurs de désirs et d’étrangeté laconique, Lifshitz les enferme et s’enferme avec eux, dans un film en forme de cul-de-sac esthétique et intellectuel. La réponse du cinéaste à l’échantillonnage qui peu à peu gangrène Wild side (personnages-échantillons, scènes, thèmes, procédés-échantillons) n’en est pas (plus) une : le corps, le mystère des étreintes, la douceur de la peau, l’émotion immédiate née de la délicatesse d’une mise en scène traversée d’aucun décrochage. Ainsi le film fabrique du cliché en direct, faute d’aller au-delà de sa simple fascination. Totalement en phase avec un jeune cinéma français parfois au repos, ne laissant qu’à la joliesse des corps-limites le soin d’endosser un désir de cinéma dont on peine à sentir les réels points de force.