Non, Une Pure affaire n’est pas le remake français de Christmas, petite chronique d’Abel Ferrara dans laquelle un couple de dealers new-yorkais se rêvait en paisibles notables, malgré leur sulfureux business. C’est même carrément l’inverse. Une comédie donc, française, et drôle (vraiment), sans doute la plus efficace dans le genre depuis longtemps. Ici, le deal de cocaïne advient comme une aubaine dans la vie étriquée de David Pélame (François Damiens), avocat grisou rêvant de vitaminer sa routine par l’argent facile, et les aléas trépidants de la clandestinité.

Voilà un premier film qui a le mérite de réussir concrètement ce que le cinéma français se contente d’envier, et de foirer presque à chaque coup : aussi bien la duplication des codes hollywoodiens de la comédie noire (le rythme effréné, les petits personnages codifiés, la coke comme symbole et objet), que son assimilation au contexte français, contexte que le réalisateur ne considère jamais comme une tare (voir le récent Poupoupidou) ou un deuxième choix. Bien au contraire, la banlieue pavillonnaire bien de chez nous, les tournées en centre ville du couple-dealer, la sociologie de l’entreprise ou des loubards, tout est filmé avec jubilation et malice. C’est sans doute la meilleure chose qui pouvait arriver au film : ne jamais choisir entre l’une ou l’autre racine, mais les faire coexister, les fusionner sans les dénaturer (le film n’est ni grossièrement scorseso-coenien, ni franchouillard, donc jamais Guillaume-Canesque) ; et tirer de ce jonglage habile une solidité que la myriade de nœuds scénaristiques n’éprouve jamais.

On peut donc tout reprocher à Une Pure affaire (une absence de folie, de grande scène qui emporterait le morceau), sauf d’être déséquilibré. Voilà un film toujours en mouvement, sur des rails, chaque tronçon du récit trouvant son juste épanouissement, sa petite vitesse, sa petite musique. Qu’il s’agisse de faire basculer les Pélame dans le banditisme à la petite semaine (la découverte par Damiens du sac contenant la marchandise un soir de Noël), de court-circuiter leur combine (l’irruption du propriétaire du sac, l’effrayant Gilles Cohen), d’inoculer de la jubilation, de la morale ou de la dérision : toutes les pilules passent, et le film retombe invariablement sur ses pieds.

Cette fluidité doit évidemment beaucoup aux racines pubardes du réalisateur, dont la priorité va clairement au rythme (encore une fois, rien n’est appuyé visuellement), mais surtout aux acteurs, tous excellents. On voit mal comment le film aurait pu se passer de François Damiens, presque un cinéaste à lui tout seul, capable de moduler la tonalité de chaque séquence à sa convenance. Alors qu’on l’attendait davantage sur le registre du délire et de l’hystérie (son côté avaleur d’espace à la Poelvoorde, déployé notamment dans OSS 117), ce rôle de petit malin déguisé en corniaud révèle surtout son aptitude à jouer des notes plus sourdes, plus moelleuses. Il faut le voire déambuler devant ses collègues, revanchard et transfiguré par sa réussite parallèle, jouant à la fois de sa connivence avec le spectateur et de la majesté que lui confère son immense carcasse – ou comment passer en une fraction de seconde d’un Will Ferrell spongieux à la solidité d’un Mitchum. La pure affaire, c’est encore lui.