On pouvait craindre le pire : un énième drame politique, Denzel Washington dans un sempiternel rôle de bidasse digne et Jonathan Demme, certes grand cinéaste mais au fond du trou depuis le pénible Truth about Charlie. On a finalement le meilleur. Un Crime dans la tête est incontestablement un joyau d’une maîtrise admirable, véritable bombe à fragmentation sur l’administration Bush et grand cri de douleur post-11-Septembre d’une société hantée par un flot d’images cachées. Remake réactualisé du film éponyme de John Frankenheimer, l’intrigue s’articule autour d’un vétéran de la Guerre du Golfe, habité par des rêves récurrents de tuerie collective et de Raymond Shaw, jeune candidat à la présidentielle, étrange héros du conflit et couvé par une mère politicarde.

Mélange de parano et de désenchantement, le film n’est pas sans rappeler L’Echelle de Jacob, parabole politique d’Adrian Lyne lâchée en pleine ère Reagan. Les enjeux et réussites d’Un Crime dans la tête sont sensiblement les mêmes : rendre compte d’un enfermement latent, trouver dans l’hallucination un message de contestation politique et l’ériger en moteur fictionnel. Cependant, Jonathan Demme est plus pragmatique. En plus du traditionnel focus sur Denzel Washington en héros persécuté, il en dévoile le contre-champs, ces fameuses arcanes du politique à l’origine de la parano. Souvent reléguées à l’abstraction ou au fantasme dans le cinéma américain, la représentation des coulisses du pouvoir cherche ici une justesse, un écho plus qu’un moyen classique de suspens. Sans jamais s’y lover, Demme la décrypte au microscope, faisant du personnage du jeune candidat un formidable pantin mélancolique, téléguidé dans un monde peuplé de chasse-trappes hypnotiques, tueur et tué, arroseur et arrosé.

Cette réversibilité est le fondement de la mise en scène de Demme, pour qui la paranoïa est d’abord affaire d’omniscience médiatique. Dès lors que Raymond Shaw devient une icône incontournable de campagne électorale, le film l’érige en flash déclencheur de l’enquête, et ses multiples apparitions en surenchère obsessionnelle. En résulte une manière plus complexe de réfléchir à la manipulation des images au sens lavage de cerveau. En jouant sur la récurrence, Demme dédouble les situations dans tous les sens, comme une mise en abîme détraquée : tous les personnages, mêmes les plus cyniques, se contaminent les uns les autres. C’est là le caractère ultra-actuel d’Un Crime dans la tête, démonstration au scalpel du conditionnement par la peur, état des lieux d’un pays condamné à l’éternel recommencement.