« Mon objectif n’était pas simplement de réaliser un film en costume, mais plus précisément, de subvertir l’univers décoratif du film historique moyen, en le traitant dans mon propre style réaliste. Autrement dit, de porter à l’écran des gens comme vous et moi, sans romanesque, dans toute leur vérité. » Ainsi l’auteur de Naked et Secrets et mensonges justifie-t-il cette incartade dans le film en costume, reconstitution très coquette et surannée du petit monde de la scène londonienne à la fin du siècle dernier. Le compositeur Sullivan et le dramaturge Gilbert, les deux héros de Topsy-Turvy, ont eu leur heure de gloire à Londres, dans les années 1880, en mettant sur pied quelques opérettes à succès qui allaient aboutir à la construction du Savoy, un théâtre spécialement conçu pour leurs spectacles. Tandis que Gilbert -auteur médiocre qui donne lieu ici à un personnage d’une humanité certaine- est tout dévoué au Savoy et à son public, Sullivan caresse des rêves de gloire, voulant se consacrer entièrement à son art et abandonner le divertissement. Liés par un contrat, les deux hommes doivent encore collaborer.

Leur différend, bien qu’il illustre un dilemme qui accompagne toute carrière artistique, ne donne lieu à aucun éclat dramatique. Mike Leigh enchaîne les scènes descriptives ou anecdotiques, les longs échanges dialogués (qui ne manquent d’ailleurs pas de piquant) dans les décors calfeutrés de l’époque victorienne, s’attardant volontiers sur tous les petits à-côtés de l’intrigue. Le « réalisme » dont il se réclame, étrangement absent d’une mise en scène plate et d’un casting convenu, pourrait bien se trouver dans la structure très souple du récit. A la querelle des deux créateurs s’ajoutent les turpitudes narcissiques des acteurs du Savoy (Timothy Spall, le héros de Secrets et mensonges, joue ici un chanteur en fin de cycle) et la tristesse de leur vie privée.

Mais ce rythme de croisière, malgré quelques scènes amusantes, devient rapidement fastidieux. L’action a beau être relancée lorsque Gilbert décide de monter le Mikado, opérette orientale inspirée par un après-midi au marché japonais (l’un des seuls vrais moments comiques du film), il manque dans l’ensemble une perspective, une distance par rapport à la reconstitution et à l’époque. Pour ce qui est de la subversion du film historique par un pseudo-réalisme, elle reste ici lettre morte, tant Topsy-Turvy souffre d’une réalisation lisse, trop homogène, presque artificielle. On reste à l’extérieur de l’histoire comme de la plupart des personnages. Et dans ces conditions, deux heures quarante, c’est long.