En regard de la filmographie de Joel Schumacher, Tigerland est un chef d’oeuvre. En effet, le réalisateur de Batman forever, du Droit de tuer ? ou de Chute libre nous avait habitués à bien pire, à un cinéma où l’immonde le disputait à la nullité, un cinéma fasciné par le glauque publicitaire, le délire sécuritaire morbide. De fait, nous avions rangé Schumacher dans la boîte des « puritains psychopathes », en pensant ne jamais le voir sortir. Erreur.
Car Tigerland est au moins assez irréprochable sur le plan idéologique : en situant son récit dans un camp d’entraînement intensif, une espèce de parc à humiliations en prélude à la boucherie vietnamienne, Joel Schumacher dénonce la lobotomie militaire, l’aliénation de l’homme à son fusil (délicat symbole phallique). En choisissant comme héros un réfractaire sympathique, le private Booz, joyeux anar pince sans rire, le réalisateur fait de la révolte la quintessence de l’humanité. Celui qui ne se rebelle pas est un cadavre. Le soldat qui ne déserte pas mourra au combat. Les ambiguïtés quelque peu nauséabondes d’un 8 mm ont laissé place à un discours sans équivoque ni concessions sur l’armée et ses ouailles galonnées. Schumacher va même jusqu’à s’en prendre à la torture, au racisme ordinaire et au prétendu droit de tuer des temps guerriers (si, si !).

Visiblement influencé par l’école de Lars Von Trier, Joel Schumacher filme cet étonnant récit à coups de mouvements brusques de caméra, d’images prises sur le vif. Pas d’artifice de lumière, pas de musique. Manière d’enfoncer le clou et d’affirmer la tonalité documentaire de Tigerland. Le problème, c’est que ce dispositif ne tient pas la distance, et que ces velléités « artistiques » ont parfois tendance à écraser la force dramatique de certaines séquences. C’est quand il se pose enfin, prenant le temps de filmer une confrontation ou un échange, que Schumacher est le plus percutant, et non pas lorsqu’il cherche ostensiblement à l’être. Au lieu de tenter artificiellement de produire du « vrai », le cinéaste aurait mieux fait de se concentrer totalement sur ses impeccables comédiens (Colin Farrell en tête, une vraie révélation). Le film aurait gagné en véracité et spontanéité.

Quant à la soudaine conversion à l’éthique des Droits de l’Homme du Schumacher, il serait peu légitime d’en attribuer la seule responsabilité au scénario de Ross Klavan. Peut-être avions-nous finalement mal jugé le réalisateur de Personne n’est parfait(e) ? Et s’il n’était pas, tout simplement, un anti-conformiste complet et jusqu’au boutiste : limite facho sous Clinton, libertaire humaniste sous Bush Junior ? Il faudra sans doute attendre son prochain film, ou la prochaine présidence américaine, pour se faire une opinion définitive sur le cas Schumacher. Réjouissons-nous pour l’instant de ce retournement de veste bienvenu !