Ouille le gros pitch qui pue : une Cosette au teint grisou s’éprend d’un jeunot un peu niais mais monté comme un cheval. Après quelques mois de passion secrète, rupture. Des années plus tard, le sauvageon déniaisé, promis à une brillante carrière d’avocat, découvre le monstrueux secret de l’amour de sa vie (ATTENTION SPOILER : la roturière fut gardienne d’un camp de concentration). De Stephen Daldry, on connaissait l’académisme british (le plus crapoteux d’entre tous) et l’affreuse tendance à draguer les tréfonds du film à oscars lénifiant. The Reader est un concentré de tout ce que ce genre – le mélo pompier qui se force à durer plus de deux heures pour avoir l’air sérieux – comporte d’archétypes attrape-clampins et de clichés gluants, de l’inévitable récit en flashback (le premier effet Benji Button) au chantage à la solennité (ambiance vieille Europe glauque, raideur du film historique en costumes), sans oublier ces deux incunables sans lesquels le film à thèse hollywoodien teubé perdrait une grande part de son pouvoir de fascination : le SFX final « spécial troisième âge » (le second effet Benji Button : Kate Winslet grimée en momie blanchâtre) et le gadget à thème déployé en une série de séquences-clip pétaradantes (remember les séquences d’algèbre filmées comme un entraînement de Rocky Balboa d’Un Homme d’exception ou le Carpe Diem revu et corrigé à la sauce caramel au beurre Werthers Original du Cercle des poètes disparus).

Comme son titre l’indique, The Reader aborde le sujet crucial de la lecture pour tous comme une discipline olympique ou l’attraction manquante d’un parc à thèmes, transformant son jeune héros en athlète de la récitation à coups d’effets Koulechov dégénérés (Kate pleurant ou riant aux chapitres des classiques à l’eau de rose récités par son amant, le système grotesque d’enregistrement sur cassettes audio envoyées comme autant de bouteilles à la mer). Pris dans sa mécanique neuneu, le film brasse une tourbe de grands thèmes qui finissent par se noyer les uns dans les autres, cherchant un temps du côté de la passion érotique interdite (le meilleur du film, porté par l’interprétation assez magnétique de Winslet en vieille fille maussade et sensuelle), moisissant plus tard dans un fatras moral douteux et maladroit (la rédemption improbable de l’ex-nazie) que vient encore alourdir le sens du détail sociologique obscène du cinéaste (la rescapée des camps trônant dans son palace new-yorkais comme une insaisissable harpie). Dommage, car l’étrange déambulation finale de Ralph Fiennes, butant contre une sorte de trou noir narratif – la passion contre l’Histoire – ouvre le suspense mesquin du récit à une vraie question éthique, notamment lors de la scène cul-de-sac de retrouvailles manquées dans la prison. Mais il est trop tard : les raideurs et la pesanteur de Daldry ont réduit depuis longtemps ce mélo sinistre (dont Bellocchio aurait probablement tiré un chef-d’œuvre) en farce croulante et desséchée.