Condensé d’une série télévisée comme le premier, The Kingdom II est une suite, réussie, réalisée par Lars von Trier, metteur en scène danois qu’on ne présente plus (The element of crime, Europa, Breaking the waves, Les idiots). Dans le grand hôpital de Copenhague, le Royaume (Kingdom), lieu où règnent des forces occultes, où des professeurs et médecins pratiquent une médecine farfelue : notamment lorsque le professeur Helmer n’hésite pas à empoisonner un confrère pour récupérer des papiers le compromettant, où encore lorsque le professeur Moesgaard s’adonne à des séances de psychiatrie. Pendant ce temps, madame Drusse ne cesse de découvrir les mystères que cache l’hôpital en communiquant avec les esprits.
Lars von Trier tourne en dérision nos angoisses envers les médecins et les hôpitaux en général en poussant les situations à l’extrême et les exorcise, ainsi que son hypocondrie qu’il répercute sur certains de ses personnages. Entre Twin Peaks et Belphégor, il entretient le genre télévisé de la série et en tire le meilleur parti possible, c’est-à-dire celui d’entrecouper des scènes importantes pour mieux retenir notre attention et notre émotion.
Les « idiots » sont dans The Kingdom II les médecins qui se livrent à la science de l’absurde ; ils sont profondément humains toutefois, ils le sont peut-être trop car leurs bêtises deviennent dangereuses. La bêtise chez Lars von Trier est ici source du Mal, c’est pourquoi non seulement les membres de l’hôpital sont incurables mais l’hôpital lui-même aussi, et devient une sorte de divinité (de lieu hanté comme dans Shining de Kubrick) qui s’est incarnée dans un enfant à la croissance démesurée et au corps monstrueux.
Les scènes du film (et de la série) fonctionnent comme un soap opera mais elles sont jouées par des « monstres » qui nous surprennent et nous font rire à la fois. Il ne pourrait s’agir que d’une farce grotesque, de mauvais goût et complaisante. C’est en effet une farce de mauvais goût mais qui a la particularité de nous faire rire, car c’est notre bêtise qui est traitée ici, et dans ses excès, ses délires visuels et narratifs, Lars von Trier nous offre un regard ironique, cynique mais très lucide. L’imagination n’a pas de limites mais la réalité non plus quand elle est gérée par notre bêtise. Dans ce film, tous les genres se côtoient, chaque personnage possède un charisme différent et attrayant.
The Kingdom II est peut-être moins angoissant que le premier mais tout aussi divertissant et intelligent. Il s’essouffle un petit peu dans la deuxième partie, mais le film nous procure une telle joie perverse à suivre ces médecins qui n’auront pas fini de vous étonner et cela jusqu’à la fin du film. L’atmosphère fantastique devient presque naturelle, « normale » face à une atmosphère réelle (renforcée par la caméra à l’épaule) qui touche à la démesure. Tout est possible dans ce film ! Mais pourquoi pas ? Car finalement, c’est aussi ça le cinéma. Des moments reflètent bien la bêtise poussée à son paroxysme comme les scènes où Helmer parle à sa cuvette de W-C. ou celles où les paris sont ouverts sur le temps mis par une ambulance roulant en sens interdit, la nuit, sur une voie encombrée de voitures !
S’il y a une « nouvelle vague » d’après Lars von Trier et son dogme, ce serait alors celle de tout filmer sans retenue mais sans complaisance afin de nous communiquer la soif de filmer et… la soif de vivre.