Il fallait une certaine élégance à Gondry pour s’effacer comme il le fait ici : The Green hornet est, avant tout, un film de la paire Seth Rogen / Evan Goldberg. A 15 ans, ces deux-là rédigeaient dans leur garage le scénario qui allait devenir Supergrave, et les revoilà à bientôt trente, amincis et couronnés de succès, jouissant d’une liberté totale et de moyens financiers importants. Comment, dans ces conditions, continuer à incarner des post-adolescents légèrement losers, en tout cas parfaitement ordinaires ? The Green hornet épouse à la perfection ce changement de statut et, mine de rien, s’impose comme la première vraie proposition de l’après-Apatow. Hier anti-héros, Rogen peut aujourd’hui revêtir la panoplie de n’importe lequel de ses personnages de comics préférés. Son premier rôle dans Freaks and geeks tranchait avec les figures d’adolescents plus convenues de la production télévisuelle moyenne ; l’acteur investit à présent le mainstream sans rien renier de la personnalité acquise à l’étape précédente.

Rogen est donc Brit Reid, enfant gâté qui se réveille un jour héritier de l’entreprise de papa, avec en prime son labo secret et un serviteur asiatique en guise de sidekick idéal. On est loin des « grandes responsabilités » qu’impliquait le grand pouvoir de Spiderman. Boys just wanna have fun : après les beuveries et les coups d’un soir, Brit Reid voit simplement sa gamme de plaisirs s’élargir. Lui et Kato se façonnent un univers à eux, où les imperméables et les lunettes de motard des années 30 voisinent avec les arts martiaux et toute une série d’accessoires cartoon. Il leur faut une mission : Los Angeles, en proie à la criminalité, leur offre immédiatement un adversaire de taille (après sa prestation délectable d’Inglourious bastards, Christoph Waltz excelle à nouveau dans un rôle de malfrat en pleine midlife crisis désireux de rafraîchir son image). The Green hornet n’est jamais très loin du film de salle gosse, égratignant joyeusement les figures d’autorité et décapitant, au propre, la statue du commandeur. Les grands dadais ne peuvent rien, en revanche, au sujet de leur charmante secrétaire (Cameron Diaz, parfaite) : ils sont juste trop jeunes, trop gamins, et dans ce désarroi touchant ils renouent avec les Apatow passés.

Il en faudrait peu pour faire du Green hornet notre film de super-héros idéal – le film n’est pas assez précis, racé. La dernière demi-heure, notamment, ne tire pas grand-chose de ses fusillades qui s’enchaînent sans grâce (et la 3D n’apporte strictement rien). Gondry n’est qu’à moitié un cinéaste d’action : parfait pour concevoir les décors qui serviront de théâtre aux courses-poursuites, et pour en imaginer les péripéties (une voiture peut s’enchâsser dans un ascenseur, puis continuer sa route au milieu des bureaux et des ordinateurs), moins pour les mettre en scène, pour prendre en main l’espace, le rythme. S’il est permis d’en rêver la version parfaitement affûtée, ce blockbuster d’auteur drôle et enlevé n’en reste pas moins une belle réussite, dynamitant Hollywood de l’intérieur : les teens d’hier, qu’on croyait confinés aux fièvres du samedi soir et aux histoires de premières fois, viennent de prendre les commandes.