Après la sortie en août dernier de La Femme de Seisaku (1965), suite de l’exhumation en salles de la figure singulière de Yasuzo Masumura, ancien assistant de Mizoguchi et Ichikawa passé par le Centre Sperimentale de Rome avant de revenir en son pays réaliser plusieurs films fondateurs de la nouvelle vague japonaise (Jeune fille sous le ciel bleu, Courant chaud). Les films de Masamura trouvent dans divers genres populaire (mélodrame, espionnage, érotisme, films de guerre ou de yakuzas) matière à s’émanciper des conventions sociales tout en sacrifiant à une forme cristalline, très éloignée des exercices de saturation formelle d’un Suzuki ou d’un Fukasaku. Tatouage est un bel exemple de cette modernité de velours, intégrant à une mise en scène rigoureusement classique, marquée par l’horizontalité, des figures anormaleset retorses.
La femme s’y fait réceptacle d’une assez commune dialectique de répression / transgression : Okane dans La Femme de Seisaku, Tatsuya ici (dans les deux rôles, la sublime Ayako Wakao), opprimées et souillées avant de se muer en icônes d’une sexualité offensive et libératrice. Dans Tatouage, ce double-mouvement trouve un pic que n’atteignait pas le mélodrame de La Femme de Seisaku. Vendue à un proxénète, Tatsuya, victime de l’influence maléfique d’un mystérieux tatouage, engage son petit ami, un apprenti de classe défavorisée, dans une succession de meurtres assez délirants. Les figures de la domination sociale et sexuelle (un commerçant, un maquereau, un samouraï, etc.) sont éliminées une à une en un ballet funèbre à mi-chemin de Dix petits nègres et de Macbeth. Nulle frénésie pour autant, la pulsion travaille sous la surface absolument plane des images : magnificence et sensualité des compositions, amplitude du découpage, transparence des changements d’axe à 180 degrés.
La lente fluidité du style de Masumura s’oppose à la dureté des figures (le parler cru et agressif de Tatsuya) pour créer une tension sourde, sans point de fuite, traversée par de très légères ruptures (la cruauté de certains meurtres). Un léger basculement a lieu ici : le personnage de Tatsuya se laisse peu à peu étourdir par son propre pouvoir, comme consumé par l’exaltation de son désir de vengeance. Cette exténuation du mouvement libertaire en une sorte de geste convulsif, transformant chaque personnage en mannequin, annonce en creux la forme plus baroque, nourrie de grotesque, du chef-d’oeuvre à venir de Masumura, L’Ange rouge.