Depuis Mundo grùa et La Ciénaga l’année dernière, impossible en France de ne pas prendre en compte cette « nouvelle vague » née depuis quelques années en Argentine. La tendance à l’état des lieux pouvait cependant nous inquiéter quant à la possibilité limitée de régénération de ce cinéma-là, les récits d’enlisement s’accompagnant généralement de blocs documentaires frontaux (Mundo grùa) difficilement renouvelables. Avec Tan de repente, une nouvelle piste s’ouvre puisqu’il y est moins question de constat que de fuite en avant et de recommencement.

Marcia, une jeune femme un peu grosse, vit à Buenos Aires et vend de la lingerie féminine. Un jour, en pleine rue, deux sauvageonnes, prénommées Mao et Lénine, l’agressent : la première veut lui faire l’amour, la seconde la menace d’un couteau. Entraînée presque malgré elle dans une aventure étrange et violente, Marcia découvre peu à peu un univers la sortant de son morne quotidien de vendeuse. Tan de repente ne s’embarrasse d’aucune vraisemblance (le fait que Marcia suive Mao et Lénine sur les routes n’est absolument pas crédible d’un point de vue réaliste). Le malaise naît de ce que l’on ne sait pas trop si Marcia désire vraiment cette aventure, jusqu’à ce qu’elle se libère peu à peu et découvre, en compagnie des deux sauvageonnes, un univers en marge, aux confins de la société, entre évasion perpétuelle (le film commence comme un road-movie : trouver une plage) et retour aux sources (tout le monde s’arrête dans la maison d’une vieille tante de l’une des filles, pour ne plus en repartir avant la fin).

Les ruptures entre violence et douceur, mouvement et inertie donnent au film une tonalité étrangement envoûtante, faisant naître de chacune des singularités des héroïnes (les personnages semblent sortis des premiers films d’Almodovar) fiction et fantaisie. La belle idée de Lerman est de rompre avec la tradition « état des lieux » du jeune cinéma argentin et d’y préférer les limbes d’un monde absolument normal (la maison qui ressemble à une auberge de jeunesse dont on ne sort presque pas) pour se sortir d’un état de crise inextricable (le côté paumé de chacune des filles) et trouver l’apaisement. En imposant littéralement la fiction à son héroïne principale, Marcia, Lerman ouvre ainsi la nouvelle vague argentine à quelque chose d’inédit : non plus dans ou au coeur de la crise, mais, littéralement, après elle et vers un re-départ.