Pourquoi ? Pourquoi Martin Kazinski devient-il célèbre du jour au lendemain, lui qui non seulement n’a rien fait pour mais ne demande qu’à rester dans son anonymat ? Pourquoi, quand il l’explique, la machine médiatique s’emballe-t-elle deux fois plus et lui taille un costume de héros ? Pourquoi la vertu cardinale de sa banalité devient-elle sa malédiction ? Pourquoi ? La question pèse une tonne et revient en gimmick dans la bouche d’un Kad Merad tremblant d’émotion Actors Studio, sur les plateaux télé où la lumière est bue par son pull sombre et moche. Ce grand cri, qui vient de l’intérieur, résonne en fait depuis trois films au moins chez Xavier Giannoli, et, les eût-il vus, le personnage de Kad Merad se serait peut-être moins dépensé. Pourquoi l’époque est-elle si dure aux classes populaires, pourquoi n’entend-elle pas leur cri, pourquoi, surtout, reste-t-elle sourde aux vertus que Giannoli leur fait porter en fanion – bonté solidaire, banalité noble, innocence prophylactique, etc. ? Depuis Quand j’étais chanteur, Giannoli a trouvé sa voie, en longeant le rayon société de son grossiste en sujets : il est, moins que son sociologue, le pâtre de la France d’en bas, qu’il fait escalader la pente sociale jusqu’au cinéma du milieu, où elle pourra admirer dans le miroir des écrans de multiplexes le beau brushing que lui a fait le cinéma d’Auteur. Dans ce registre, l’obscénité de Superstar est totale, mais le film parvient quand même à épater dans son obstination à la nier, en feignant de ne la voir que sur les plateaux télé et dans une logique médiatique qu’il voudrait loin, si loin de lui.
Il n’y a qu’à voir le pull de Kad Merad. C’est un autre gimmick, par l’entremise duquel Giannoli entend désigner la cynique tautologie des plateaux télé. C’est au nom de cette tautologie que, dans le film, on fait garder à Kazinski son pull au moment d’affronter les projecteurs : le pull est moche parce que Kazinski est un prolo / Kazinski est prolo parce que son pull est moche – le pull est donc le costume idéal. Il est surtout la preuve que, quand il s’agit de montrer un prolo, Giannoli et TF1 ont le même dressing, et le même costumier. Tout le film est à l’avenant, ne faisant mine de desserrer le noeud du cynisme médiatique que pour resserrer sur ses personnages celui de stéréotypes auxquels n’oserait pas rêver le pire conducteur d’un show de prime time (il faut voir les portraits atroces de clients de supermarché, ou celui du rappeur ghetto qui partage le plateau avec Merad). Impuissance désespérante de ce genre de films français quand, moralistes, il veulent s’aventurer sur le terrain de la fable à l’américaine (visiblement, Giannoli a revu L’Homme de la rue, Un Homme dans la foule, et The Truman show le même soir sur son home cinéma) et espèrent retrouver sa puissance métaphorique sans le moindre soupçon de finesse, ou au moins d’habileté narrative. Visionnaire un peu lent, Giannoli a bien compris que la télé, ça sent pas très bon, mais ne sait le dire autrement qu’en faisant de ses personnages de la chair à sujet de film, comme ils sont, pour l’hydre médiatique qu’il a dans son viseur, de la chair à spectacle. Au bout de ce naufrage, un seul pourquoi reste en suspens : pourquoi un tel film représente-t-il la France à Venise ?