Exit les mornes plaines et les vapeurs de Pelforth, Dany Boon plie bagage pour parler aux Français depuis la capitale. Occasion de retrouver le crétin affable de ses vieux sketches, celui qui chantonnait au mitan des années 90 : « je vais bien, tout va bien« . L’hypocondrie du clown doux aux oreilles décollées, mal taillé pour la vie, c’était alors son rayon. Que faire d’une telle idée sur grand écran ? Si Boon n’avait pas, en deux films, déclenché l’ouragan franco-belge que l’on sait, on aurait parié sur un minuscule dispositif de café-théâtre, établi sur trois décors (au hasard : divan du psy, bar à speed-dating, esplanade de la Défense).

Sauf que Bienvenue chez les Ch’tis a donné à Boon la folie des grandeurs : son film éclate vite sa condition de petit vaudeville sociétal, visant l’ampleur d’un blockbuster. Déjà, Rien à déclarer, très loin de la modestie des Ch’tis, gonflait une micro-intrigue d’estaminet pour viser une formidable épopée réconciliatrice. De la même manière, Boon tresse les petits tracas de l’air du temps (du genre : vaincre sa solitude grâce à Adopteunmec) avec une ambition Disney (scènes d’action burlesques et B.O. émotive, dans le style des vidéos Look Back de Facebook). Étrange démesure dans le storytelling mielleux, qui laisse entendre que Boon, dévoué au bon peuple, veut en donner pour son fric à un public en mal d’enchantement, tout en gardant les pieds solidement ancrés dans les codes rassurants du boulevard. Quitte à troquer le reflet plutôt fidèle des Ch’tis contre l’image d’une Gaule chimérique et plastifiée.

Cette tambouille, à mi-chemin entre le conte de fée et le petit théâtre domestique, engendre un pot-pourri de tonalités, alternées au gré des rebondissements divers : l’hypocondrie démentielle du héros le conduit, par un glissement improbable, à se faire passer pour un rebelle du Turkestan auprès d’une bobo droitdelhommiste. Perdu entre anicroches théâtreuses et énergie bigger than life, Supercondriaque finit par ne rien raconter. Rien, sinon les tribulations du patient Boon, marginal simplet balloté dans une France bien peignée où, après Boudu et Jacquouille la Fripouille, il révèle le ridicule du bourgeois. À le voir enchaîner les bourdes qui finissent par le catapulter en Asie centrale, on se prend à fantasmer ce qu’un Dupontel aurait pu faire d’un canevas aussi dégénéré.

Mais Boon n’est pas Dupontel, et sa manière si molle de filmer la France fait capoter chaque tentative d’envolée. Confit dans son idéalisation sirupeuse du décor national, Supercondriaque n’est ancré nulle part. C’est un comble pour un film qui se vend précisément comme leçon de courage et de simplicité, dispensée à une patrie morose, flapie, incarnée elle par un Merad grognon et hypertendu. Pas sûr qu’on lui redonne espoir, à cette France-là, en la bardant d’images d’Épinal croupies (attention aux équations de l’épilogue : jardin public + bébé dans sa poussette = sortie de crise). Mais peu importe à Boon, désigné depuis les Ch’tis comme le sauveur d’un art en perdition, qui  constitue décidément son meilleur fonds de commerce : la positive attitude.