Stage beauty fait partie d’une catégorie très précise de produits périssables hollywoodiens dont on ne saisit pas forcément l’intérêt commercial. Pas de grand nom à l’affiche, pas de scénario mirobolant, rien qu’un mini-sujet fantaisiste pour théâtreux du dimanche, servi dans un écrin mignonnet. A la fin des années 90, John Madden était devenu le roi de ce genre impossible, raflant avec La Dame de Windsor ou Shakespeare in love une pluie de récompenses. Professionnel des planches, Richard Eyre prend donc la succession, ne change rien au cahier des charges et révise seulement à la baisse une ambition artistique déjà lilliputienne. Finis les classiques détournés, les variations délirantes sur la genèse des chefs-d’oeuvres du répertoire : place aux petits fonctionnaires des planches et autres étoiles filantes d’une ère costumière et vaguement historique.

Londres, 1660. Une époque non seulement couleur sépia et bourrée d’effets numériques un peu moches mais où les femmes ne pouvaient jouer leur propre rôle au théâtre. En toute logique, ce sont les hommes qui portent le jupon, spécialité qui provoque un émoi unisexe auprès du public. Billy Crudup joue le Nicolas Kidman de la période. Entièrement dévolue à une démagogie de guide touristique, la caméra montre combien le jeu était maniéré, qui étaient les spectateurs, comment se poudraient les comédiens. La poudreuse justement, c’est Claire Danes, deuxième neurone de l’histoire, petite fleur effarouchée qui aimerait bien jouer comme son maître qu’elle aime en secret. Mais lui n’a rien compris, il aime les riches garçons qui aiment « s’éteindre en lui avec une perruque ». Or voilà que pour faire plaisir à sa maîtresse, le roi interdit aux hommes de jouer les femmes. Libération pour les unes, déchéance pour les autres, on connaît la chanson.

Le film a beau rappeler que le travestissement était vu comme la quintessence de l’Art, le sens de l’intrigue a tendance à prôner un certain retour à l’ordre moral. Pour preuve, le parallèle entre le parcours initiatique de la star transformiste qui à son premier contact hétéro, délaisse la stylisation pour se faire le créateur du jeu réaliste, érigé ici au rang d’évolution artistique. Pas de quoi s’offusquer non plus, tant Richard Eyre se retranche dans une neutralité tâcheronnesque un peu soporifique. Aussi faussement inspiré par les tirades d’Othello que par les scènes d’érotisme, tournées dans une élégance confite, ce non-style percute davantage sur sa condition d’oeuvre périssable. Le film n’est qu’une suite de hauts et de bas, de notoriétés fragiles et de marchandages artistiques. Charles II, roi cabotin et superficiel tire toutes les ficelles de ce concerto pour pantins minables. En une séquence, les lumières s’inversent, les destins s’effilochent. Idole ardente, Crudup sombre en un plan dans un bouge de campagnards haineux, pitoyable dans sa robe, comme une relique de la télé-réalité qu’on expose pour amuser la galerie. Impossible de savoir si l’introspection est délibérée. Reste que grâce à ça, Stage beauty échappe à la puanteur, voire même au black out absolu.